Page:Renouvier - Uchronie, deuxième édition, 1901.djvu/33

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en vint à l’histoire de sa vie, que j’attendais avec impatience. La voici renfermée dans ses points principaux, car je ne me sens pas capable de vous la traduire avec autant de force en la rapportant toute de mémoire, que je peux le faire en l’abrégeant. L’éloquence des faits est grande.

« En l’année 1572, j’avais deux ans, me dit mon père. Le 24 août, mes parents furent massacrés à Paris pour avoir voulu défendre un huguenot réfugié dans leur maison. Ils étaient cependant catholiques. Leurs biens furent acquis à leurs assassins, et moi je fus élevé par charité dans un couvent, et instruit dans les principes qui avaient causé leur mort. Je fis honneur à mon éducation.

» J’étais moine et encore imberbe, quand je fis mes premières armes à la journée, des Barricades. Dévoré de toutes les passions de la Ligue, je crus quelque temps que la chimère du franc gouvernement ecclésiastique allait devenir une réalité grâce à l’Espagne, à la compagnie de Jésus et à la farouche piété du peuple et des étudiants. La jeunesse croit volontiers que les grandes choses sont réservées à son temps, et que la pure vérité a son siège là même où son orgueil, joint avec son amour du bien public, imagine trouver l’universelle réponse à ses doutes et à ses désirs. Ma foi de ligueur se tourna en une rage lors du siège de Paris, mais fit place à l’abattement quand je vis réussir la conversion du roi de Navarre, et finalement au désespoir, pendant cette année décisive qui vit l’édit de Nantes, la paix avec l’Espagne, la mort de Philippe II. J’avais déjà vingt-huit ans. Les tentatives d’assassinat sur le roi Henri IV me semblèrent des rébellions tardives d’un parti qui restait puissant dans la république, mais dont les hautes vues étaient ajournées de force, principalement devant les progrès des sceptiques et des politiques. Les livres de ces derniers, j’entends les livres de philosophie et de morale, et nommément les Essais de Michel de Montaigne, que je lus à cette époque, apportèrent du trouble dans mes esprits. J’espérai trouver un remède au dégoût qui m’accablait en France, et aux doutes dont j’éprouvais la première atteinte, et je partis pour aller trouver la foi catholique dans son centre, afin de m’y régénérer si je le pouvais. Les re-