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LA PETITE LAITIÈRE



Rarement voit-on de jolies filles parmi celles qui approvisionnent la capitale : j’ai fait souvent cette reflexion. Est-ce que le sang serait moins beau dans le Parisis qu’ailleurs ? Je ne le crois pas : mais quelqu’un à qui je fis part un jour de mon observation, me répondit : Les mœurs sont si corrompues dans ce pays-ci, que dès qu’on y voit une fille d’une figure passable, elle est enlevée sur-le-champ ; les laides seules continuent tranquillement leur négoce ou leur travail… Je trouve cette raison satisfaisante, et ma Nouvelle ne servira qu’à prouver combien elle est juste.

Suzon, la petite laitière, venait tous les jours avec un petit cheval bai brun, fort joliment arrangé, par la rue du faubourg Saint-Honoré jusqu’à la Place Vendôme, qu’elle ne passait jamais. Elle avait un juste de poulangis gris blanc, un jupon de molleton à raies rouges et blanches ; une capote de baracan brun ; une croix d’or ; des bas de laine toujours propres, et des sabots en hiver. Mais il fallait voir comme elle était faite, sous ces habits de village ! tout était tiré à quatre épingles ; sa taille aurait tenu dans les dix doigts ; sa marche était agréable ; le son de sa voix d’une douceur angélique : quand il faisait crotté, elle avait sa jupe rattachée par une agrafe, ce qui laissait voir la finesse de sa jambe ; ses sabots mêmes, toujours bien