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LA PETITE LAITIÈRE

courut à la portière, et à force de chercher les moyens de l’enlever, il y parvint : un homme pouvait y passer : cependant de Neuilli ne l’osa pas. Il remonta dans son escalier, et regarda par le trou fait avec son couteau. Il vit Suzon seule, qui arrangeait du linge. — Suzette ! Suzette ! — Qui m’appelle ? — Moi. — Qui, vous ? — Moi, de Neuilli. — Je ne vous connais pas ! Où êtes-vous ! qui êtes-vous ? Le neveu de M. Desgrands. — Ah ? c’est vous, monsieur ? et où êtes-vous ? — Ici. — Où donc ? — Descendez ou mon oncle m’a montré à vous, et nous allons nous parler. — Qu’avez-vous à me dire ? — Ah ! mille choses, que je n’ai jamais dites, allez ; je ne suis pas si sot que le croit mon oncle, allez ; jolie Suzon, que je vous parle. J’y vais donc : mais il faudra bien prendre garde de n’être pas vus de votre oncle ! — Nous ne le serons pas. Suzon sortit du cabinet, et de Neuilli vola au-devant d’elle.

Il fut arrivé le premier à l’entresol, ouvrit la por tière, et sauta dans la pièce où Suzon allait entrer : elle l’y trouva. Elle fit un petit mouvement de crainte. — Je vois donc enfin un objet aimable, que mon imagination et mes songes m’ont mille fois présenté ! (s’écria de Neuilli). Être jeune et charmant, je vous aimerai toute ma vie ! Il lui prit les mains qu’il baisa ; il la serra dans ses bras, mais sans faire aucune entreprise. Suzon lui demanda, comment il était chez son oncle ; d’où vient qu’il était enfermé ! Le jeune homme n’en savait pas la raison ; mais il raconta la chose : — Je suis toujours dans cet appartement, d’où je sors à l’instant pour la première fois, depuis que j’ai la connaissance. Il n’est jamais entré que mon oncle auprès de moi : c’est lui qui m’a apporté mes habits ainsi que ma nourriture, lorsque je n’ai pas mangé avec lui ; et lorsque j’y mange, il ouvre une porte qui donne sur l’escalier au troisième, par où il me fait descendre dans son appartement. J’ai quelquefois été fort longtemps sans manger avec lui, et ce n’était pas par punition ; car je ne lui avais rien fait. Il ne m’a jamais parlé de créatures comme vous, et j’ignore encore com-