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LA JOLIE GAZIÈRE

cet état, en lui défendant de jamais remettre le pied dans l’atelier. Colette seule n’avait point pris de part au juste traitement qu’on faisait à cette libertine ; au contraire, elle avait prié ses compagnes pour elle et tâché de les engager à plus de modération, mais on ne l’avait pas écoutée.

C’était un samedi, et le lendemain était le jour où le frère de Manon venait dîner chez sa belle-mère avec son protecteur. Manon, que Colette vint voir, avant de se coucher, pour lui rendre compte de ce qui s’était passé au sujet d’Hélène, invita de nouveau son amie à dîner : elle s’informa si elle avait du linge blanc, et les autres choses les plus nécessaires. Colette en était assez mal fournie, et l’obligeante Manon y suppléa, d’une manière si généreuse, que Colette attendrie ne put refuser. Le lendemain, sur les huit heures, Colette habillée et propre, vint offrir ses services à la mère Wallon, qui les accepta. Il y avait encore beaucoup de choses à faire pour Manon, qui repassait : Colette lui aida, et la grande envie qu’elle avait d’être utile à son amie, la rendit adroite après la première leçon : elles eurent fini avant dix heures. Manon fut habillée à onze, et le jeune Wallon arriva presque aussitôt avec son protecteur. Le jeune homme fut très surpris de voir Colette si jolie et si propre ! Pour M. de S** (le protecteur), il ne fit d’abord attention qu’à Manon, pour laquelle il avait les sentiments les plus vifs. Il la salua comme un tendre père salue sa fille, et après avoir parlé à la mère Wallon, il revint auprès de sa jeune élève, pour la faire écrire, lire, chanter ; car il lui montrait la musique ; il lui enseignait la géographie, etc. Ce fut ce moment, où Manon se trouvait seule avec M. de S** et son amie, qu’elle choisit pour la lui présenter. — Voilà, monsieur, lui dit-elle, une jeune voisine, que vous aimerez, dès qu’elle vous sera connue ; c’est une pauvre orpheline, qui n’a plus personne au monde. Vous voyez comme elle est jeune et d’une agréable figure : mais ce n’est rien ; elle est encore plus méritant : je vous prie de permettre qu’elle soit ma seule