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LA JOLIE GAZIÈRE

amie, ma compagne, et qu’elle reste avec moi quand je recevrai vos leçons. Elle sait assez bien écrire, et elle lit parfaitement. Elle a eu bien du malheur de perdre sa bonne mère ! et, cette semaine, elle a manqué de perdre plus encore… Elle raconta ensuite ce qui venait d’arriver à Colette. L’honnête homme écoutait avec complaisance sa jeune amie, enchantée de lui trouver une âme sensible. Il jeta les yeux sur Colette. Il fut surpris de sa beauté ; il admira en lui-même l’honnête confiance de Manon dans sa probité, puisqu’elle lui montrait une fille si capable de rendre infidèle un amant ordinaire. — Vous m’êtes recommandée par une personne qui m’est trop chère (dit-ilà Colette) pour que je ne m’intéresse pas à vous de tout mon pouvoir ; je le ferai aussi pour vous-même : outre que vous êtes une aimable personne, je trouve tant de douceur et d’honnêté dans votre physionomie, que je ne suis plus le maître de me refuser à vous servir. Soyez l’amie de Manon : j’y consens et je vous en prie : c’est une charmante fille (ajouta-t-il avec attendrissement) ; elle est orpheline comme vous : mais il lui reste une mère d’amitié, et un père, qui, je vous assure, est très tendre ! elle est moins à plaindre que vous… Que fait-elle ? (dit-il à Manon). — Elle est gazière. — Cette profession, ma chère fille, est dangereuse, non par elle-même, mais parce que des filles et des garçons réunis dans le même atelier, souvent en très grand nombre, se corrompent mutuellement : je n’aime pas cet état-là pour votre amie. D’ailleurs, il n’est exercé que par ce qu’il y a de plus grossier dans ce faubourg. Ne pourrions-nous pas la mettre à autre chose ? — Ou la faire travailler à elle ? (dit Manon). — Cela est très bien vu, ma fille : je vous entends : vous serez inséparables : allons, j’y consens : j’acheterai, dès demain, tout ce qu’il faut à votre amie, et je vous le remettrai. Sa chambre est-elle convenable ? — Non, mais elle travaillera dans celle-ci ; maman ne s’en sert pas. Cette vilaine Hélène m’effraie. Si vous saviez comme on l’a traitée quand elle est retournée pour chercher Colette ! Et elle raconta cette scène.