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LA DERNIÈRE AVENTURE

même maison… Monsieur Parlis, vous m’avez prouvé une vérité, dont je me doutais ; c’est que les bons procédés tiennent lieu de tous les avantages, lorsqu’ils sont portés à un certain point. Je me souviens que vous le disiez un jour à maman et que la nature l’avait voulu, pour que l’être doué de raison, qui a des passions au delà du temps marqué pour les grâces, ne fût pas malheureux sans remède. Oui, monsieur Parlis, on peut être aimé à tout âge, en employant les moyens propres à cet âge ; c’est encore de vous que je le sais. Soyez mon père et mon guide ; soyez davantage ; je me contenterai de votre médiocrité ; je mettrai mon bonheur à la partager ; j’en serai glorieuse ; votre nom m’honorera ; votre mérite personnel rejaillira sur moi : mon attachement, vous le voyez, ne sera pas désintéressé. — Il n’en est pas, Élise, il n’en fut jamais : un attachement désintéressé serait un effet sans cause et il n’en exista jamais de tels dans la nature. Mais, vous, jeune et belle, du goût pour moi ! — Non seulement du goût, puisqu’il faut le dire dès aujourd’hui, mais de la tendresse. — C’est autre chose, mon Élise ; la tendresse peut naître, pour un homme de mon âge, plutôt que le goût. — Je croyais que c’était la même chose. — Pas tout à fait : le goût suppose l’amabilité physique, la tendresse ne suppose que l’amabilité morale, des qualités, du mérite, des bienfaits. — Je vous conçois : c’est donc de la tendresse que j’ai, — Charmante fille ! ce sentiment de votre part sera mon trésor le plus précieux ; mais… s’il suffit pour mon bonheur, suffira-t-il pour le vôtre ? — Oui, soyez-en sûr, et beaucoup plus que tout ce qu’auraient pu faire pour moi tous les de Blémont du monde, avec leur fortune. Remerciez-le, je vous en prie ; marquez-lui mes vrais sentiments à son égard ; je ne l’estime pas, je n’aurais jamais pu l’estimer : son caractère est vicieux, ou vicié, je ne sais lequel ; mais enfin, il n’est pas ce qu’il me faut. Quant à vous, je me donnerai volontiers, contente, je le répète, de partager votre sort tel qu’il est. »

Parlis aurait été enchanté de ce langage, s’il avait été à la place de M. de Blémont ; au lieu que dans sa situation, il n’avait