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LA DERNIÈRE AVENTURE

connaissez pas le cœur humain, de Blémont ; non, vous ne le connaissez pas ! Vous n’avez que des idées fausses. Vous vous êtes persuadé que vous seriez trompé, si vous aviez multiplié les motifs d’attachement à votre égard de la part d’Elise ; et pour ne pas les multiplier, vous n’en avez donné aucun. Ensuite, en véritable insensé, vous avez été surpris qu’elle n’ait pas eu d’attachement pour vous ! Si elle en avait pris, de Blémont, savez-vous quelle idée je me serais formée d’elle ? C’est qu’elle aurait été viciée, corrompue, puisqu’elle ne se serait attachée à vous que par les motifs corrupteurs que vous lui présentiez. Eh ! quels motifs encore ! Dites-moi, si Elise avait eu des sens assez inflammables, pour prendre feu, comme vous le désiriez, aux propos libres d’un cinquantenaire, dans la bouche duquel ils sont et doivent toujours être repoussants, quelle assurance auriez-vous pu avoir, qu’ils n’auraient pas eu plus d’efficacité dans la bouche d’un jeune homme ? Quelle assurance auriez-vous eue de sa fidélité ? Malheureux ! Homme aveugle et déraisonnable, si jamais vous vous liez avec une femme, du caractère que vous avez paru désirer. Elise sera trop vengée, et vous lui ferez pitié, quelqu’irritée qu’elle soit contre vous ! Vous voulez des sens chauds ? Sachez qu’un cœur tendre est mille fois préférable dans tous les pays, avec les hommes de tous les âges, mais surtout pour un cinquantenaire, tel que vous. Des sens chauds ! Ah ! pauvre insensé, qui avez si bien goûté pour autre chose, la morale de Boccace et de Lafontaine, vous demandez ce qui vous mettrait bientôt au désespoir, en vous faisant recourir au calendrier des vieillards !… Que vous êtes inconséquent ! Quelle folie est la vôtre ! Vous paraissez tout ignorer. Il n’y avait qu’une chose à faire, gagner la confiance, et par elle, la tendresse : vous auriez vu alors, que toute femme a les sens chauds pour l’homme qu’elle veut rendre heureux. Vous prétendez juger une femme… Je n’ose répéter ici votre idée : mais vous trouverez toutes les femmes telles que vous craignez si fort qu’elles ne soient, après une épreuve du genre que vous la voulez faire ! Il n’en est pas, ou presque point en France, qui vous réponde d’abord comme vous le désirez ; il faut, pour cela, passer en Italie, en Espagne et jusqu’au Maroc, à moins que vous n’ayiez affaire à ces femmes expérimentées, qui se sont fait un art particulier, qui les rapproche des Africaines par la manière, quoiqu’elles en soient fort loin par le sentiment (prenant ce dernier mot au physique) !

J’aurais pu me dispenser d’en tant dire : mais je ne suis pas encore assez indifférent à votre égard, pour rompre avec vous par le silence. On aime encore celui à qui on détaille si longuement les causes d’une rupture : on cesse de voir l’homme qu’on méprise : on dit cent fois à l’homme à qui l’on tient encore : Je ne vous verrai plus…

Je suis, votre très humble serviteur,

Parlis.