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D'UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

susceptible… Nous jouâmes dans l’après-diner et je me retirai sur les cinq heures, pour me remettre au travail.

À sept heures et demie, Sara se fit entendre à ma porte. J’y volai. Elle entra d’un air d’amitié qui me ravit. Nous causâmes de ses amours avec du Châtaignier. Elle ne convint pas de l’avoir aimé, mais s’étendit sur les marques d’une véritable tendresse qu’il lui avait données. Je hasardai des caresses qui ne furent pas mal accueillies et ce fut ce jour-là que, dans la conversation, je l’assurai que je ne voudrais pas, s’agit-il de mon bonheur, porter atteinte à la vertu d’une fille honnête, que j’avais une probité trop délicate pour abuser de la confiance d’une mère et de celle de sa fille. Mais j’ajoutai, je ne sais pourquoi, que je n’aurais pas les mêmes scrupules avec une fille déjà entamée… (Oui, je tins ce discours imprudent, mais j’en ai porté la peine !…) Sara me répondit en m’assurant qu’elle avait son innocence première. « Ce titre est sacré pour moi, lui dis-je, fille aimable ; je serai votre ami, votre tendre père, et rien de plus ; mais je serai tout cela si parfaitement que je ne vous laisserai rien à désirer. Soyez ma fille chérie, le voulez-vous ? — Oui, papa, je la serai. Je ne change jamais quand le mérite a déterminé mon penchant. — Ma chère Sara, c’est sur ta générosité, non sur mon mérite, que je veux compter. » J’osai lui prendre un baiser sur la bouche, elle s’y opposait un peu, mais à ma prière elle me le rendit et j’en pris mille ensuite. Je venais de la tutoyer comme amant, je voulus l’engager à en faire de même. Elle hésita ; enfin, elle refusa de me donner cette marque de familiarité. Nous soupâmes ensemble.

Si tous mes lecteurs devaient être affectés comme moi, je ferais un Journal et il serait assez intéressant ; il montrerait la gradation de cette passion impérieuse et cruelle qui naît en nous sans consulter la raison, et que la raison, soutenue du mépris, de l’indignation, ne réussit pas toujours à détruire.

La mère de Sara s’aperçut aisément de la passion naissante que m’inspirait sa fille. Le lundi, j’allai saluer les dames, le matin, à ma première sortie. « Nous dînerons ensemble, me dit