Page:Restif de la Bretonne - Mes inscripcions, éd. Cottin, 1889.djvu/49

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une vie beaucoup plus courte, par tous ceux qui m’environnaient, cet étonnement est la source du plaisir que je trouve à écrire puérilement sur la pierre des dates que je revois deux, trois, quatre, cinq ans après avec attendrissement. Je ne sais si les autres hommes me ressemblent, mais c’est, pour moi une émotion délicieuse que celle occasionnée par une date, au-dessous de laquelle est exprimée quelquefois la situation de mon âme, il y a deux, trois ans. Si elle était triste, horrible même (car j’en ai de celles-là), je tressaille de joie comme un homme échappé du naufrage. Si elle était heureuse, je la compare et je m’attendris. Si elle était attendrissante, alors cet attendrissement se renouvelle avec force, il m’enivre et je pleure encore. Oh que la sensibilité est quelquefois délicieuse ! Oh que la sensibilité est, quelquefois, cuisante, affreuse, déchirante ! »

Sa promenade, accompagnée de la revision de ses dates, doublait donc le bonheur de se sentir vivre. S’il relevait de maladie, s’il éprouvait de la tristesse ou de l’inquiétude, s’il voulait se reposer d’un travail[1], son premier soin était de courir sur l’île. Là, devant les caractères à demi effacés par le temps, il se complaisait dans sa rêverie. Quelquefois, l’inspiration se faisait sentir : il raconte, dans les Nuits de Paris, comment, au cours d’une de ces excursions sérotinales, au moment où il venait de repasser dans sa mémoire trente années de son existence, il écrivit le commen-

  1. V. Monsieur Nicolas, t. XI, p. 43.