Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/138

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Quant au jeu du loup, toujours réservé pour l’obscurité, il était sans but moral, au moins apparent. On plantait un piquet en terre ; on y attachait une longue corde formée de plusieurs chevêtres de cheval. On choisissait le premier loup : ordinairement ce titre était ambitionné ; on l’attachait à la corde ; on lui bandait les yeux, puis on s’écartait. Alors, on lui jetait, les garçons leurs chapeaux ou leurs bonnets ; les filles, leurs tabliers ou leurs fichus roulés, et jusqu’à des camisoles et des corsets. Le loup devinait à qui appartenait le chapeau, le tabher, le fichu, ou il le mettait au pied de son piquet, s’il ne devinait pas ; on tâchait alors de les reprendre. Mais s’il avait deviné un garçon, celui-ci était loup à son tour ; au lieu que si c’était une fille, elle nommait un garçon pour la remplacer. Si le loup saisissait un garçon personnellement, il le rossait ; si c’était une fille, il la mangeait ; c’est-à-dire, qu’il la fourrageait assez librement. On n’était guère attrapé qu’en voulant reprendre les gages amoncelés autour du piquet du loup. Ce jeu était fort innocent entre des enfants tels que j’étais, malgré mon aventure avec Nannette : mais quelquefois les garçons de quinze à vingt ans s’en mêlaient, et alors il s’y passait des choses peu décentes. Cependant Messire Antoine Foudriat ne voulut jamais ni le défendre, ni recommander de la décence dans ce jeu ; il disait que depuis plus de cinq cents ans, on n’avait pas ouï dire qu’il y fût rien arrivé d’essentiel, et qu’il suffirait de le défendre pour qu’il devînt cri-