Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/155

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troupeaux dont ils ne rendent compte qu’une fois l’année ! Hélas ! j’ignorais que mon bonheur existait quelque part ; je jugeais de tout l’univers par mon village : Tutto il mondo è come nostra famiglia. Cependant j’agissais à peu prés comme ces bergers d’Italie. Arrivé le soir, je soupais seul, et dés le matin je faisais sortir le troupeau.

Il prospérait entre mes mains ; je ne le ramenais que rassasié, et grâce à Friquette, les loups n’en diminuaient pas le nombre ; cette excellente gardienne poursuivait quelquefois à elle seule deux loups et les obligeait à fuir. Ce qu’il y a de singulier, c’est que moi, qui craignais les chiens jusqu’à la pusillanimité, j’attaquais les loups en téméraire ; je les poursuivais sans aucune autre arme que des pierres que je lançais contre eux ; et comme j’étais preste à la course, je les harcelais, les fatiguais, et souvent je les blessais à sang.

Vis-à-vis les vignes de Mont-Gré, derrière le boisLe vallon. du Bout-Parc, était un vallon plus solitaire, où je n’avais encore osé pénétrer ; la haute lisière du bois lui donnait quelque chose de sombre qui m’effrayait. Le quatrième jour après les vendanges de Nitry, je me hasardai à y passer avec tout mon troupeau. Il y avait au fond du vallon, sur le bord d’une ravine, des buissons pour mes chèvres avec une pelouse où mes génisses pouvaient paitre comme dans le Grand-Pré. En me voyant là, j’éprouvai une secrète horreur, causée par les contes d’excommuniés changés en bêtes que me faisait Jacquot ; mais cette horreur