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VOYAGE

aux trois explorateurs, par l’entremise de Wilkins, que Peter devait revenir pour la tuer, elle et son enfant. Elle se coucha alors près du cadavre de son époux, en déclarant qu’elle se disposait à attendre la mort.

« Que faut-il faire, monsieur Arthur ? demanda Wilkins. Mon cœur parle en faveur de cette moricaude ; mais peut-être votre père ne trouvera-t-il pas bon que nous lui amenions une femme aussi peu vêtue. Et pourtant, si nous la laissons ici, le coquin reviendra pour la massacrer ; sans doute son époux était un chef ne s’entendant pas avec le bandit qui lui a ravi l’existence.

— Emmenons la mère et l’enfant, dit alors Gérald. Je vais aller en avant pour porter le bébé à miss Marguerite, et je rapporterai des vêtements pour la mère. »

Sans attendre l’assentiment d’Arthur Mayburn, O’Brien se sauva en courant, tandis que la négresse le suivait des yeux, ne sachant pas ce qui se passait. Wilkins lui fit comprendre qu’elle devait suivre le jeune homme qui avait emporté son enfant, et elle devina bien vite qu’on ne lui voulait pas de mal.

Gérald revint bientôt suivi de Jenny Wilson, qui apportait des jupons et une camisole, dont elle revêtit la pauvre Indienne, quoique celle-ci ne saisît pas la nécessité de cette transformation.

Toutefois Arthur, avant de se charger de cette femme, avait voulu consulter son père et sa sœur. En arrivant en présence des « visages blancs » la veuve noire vit son enfant emmailloté dans des mouchoirs de soie ; elle s’avança aussitôt près de la jeune fille et de Max Mayburn, les yeux exprimant la reconnaissance, et se prosterna à deux genoux.

« Pauvre femme ! s’écria le vieillard ; ne pouvons-nous pas la rendre à sa vocation ? Voyons, Wilkins, vous qui savez vous faire comprendre, demandez-lui quelles sont ses intentions. »

Le convict s’adressa à la veuve ; il expliqua à Max Mayburn que tous ceux qu’aimait l’infortunée avaient été tués, que son désir le plus vif était de rester avec les « visages blancs ».

« Triste compagnie pour miss Marguerite ! observa Jenny Wilson. Wilkins se chargera d’elle, alors.

— Pourquoi pas ! Dieu nous a faits tous égaux, comme dit M. Mayburn, quoique cependant le noir ressemble peu au blanc. Qu’importe si cette moricaude n’a pas l’éclatante blancheur de ma chère Susanne Raine, que je devais épouser avant mes malheurs je m’en chargerai tout de même.

— Quel nom avez-vous prononcé là, Wilkins ? demanda Marguerite. Il y avait dans le paquebot l’Amoor, sur lequel nous sommes venus à Melbourne une jeune fille, très accorte et fort honnête, qui s’appelait Susanne Raine ; elle faisait partie du personnel emmené en colonisation par M. Deverell.

— Voici deux ans passés que je n’ai reçu de lettre d’elle, répondit Wilkins, dans les yeux duquel coulèrent deux grosses larmes. La chère créature ne savait pas plus écrire que moi ; sans doute elle n’a trouvé personne pour lui tracer une missive à mon adresse, et probablement, n’entendant plus parler de moi, elle s’est mariée. Le désespoir m’a pris alors,