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VOYAGE

Enfin l’abandonnée dit son nom à ses nouveaux amis ; on l’appelait Baldabella, et son enfant Nakina. À tout prendre, la jeune mère était assez bien tournée, ses yeux étaient brillants et sa voix sympathique ; par malheur, elle s’était fait percer le cartilage nasal entre la paroi intérieure et y portait, comme ornement, un os de poisson. Lorsqu’on avait rencontré pour la première fois Baldabella, elle était couverte d’un manteau de peaux d’opossum, que les voyageurs avaient échangé contre un accoutrement européen.

Sur le déclin du jour, lorsque les naufragés du Golden-Fairy atterrirent dans une anse du rivage, Baldabella examina avec une expression de curiosité tous les arrangements faits pour passer la nuit, et particulièrement la cuisson des mets pour le repas du soir. À ce moment-là, quand on lui offrit sa part du souper, elle manifesta un sentiment de dégoût et s’éloigna pour chercher sa nourriture.

À quelques mètres du campement, Baldabella se mit à fouiller dans la vase, et revint bientôt près de Marguerite, à qui elle voulut offrir des espèces de limaces grises, en lui faisant signe que c’était excellent à manger.

La fille de Max Mayburn refusa « cette gourmandise ». Baldabella commença à mordiller ces reptiles tout crus, et en fit avaler un à son enfant ; puis elle s’éloigna de nouveau afin d’aller chercher d’autres limaces dont elle se nourrit exclusivement.

Jenny Wilson n’avait pu s’empêcher de jeter les hauts cris en signe de dégoût, et Ruth s’était détournée avec une expression d’horreur, comme elle eût pu le faire en présence d’une sorcière. Gérald se contenta de remarquer qu’il n’y avait pas grande différence entre ces limaces crues et les huîtres dont les Européens se nourrissaient avec délices. Tout cela venait de l’éducation reçue.

« Mais les huîtres sont excellentes, surtout avec un peu de poivre et de jus de citron, ou bien encore une goutte de vinaigre, tandis que les canards eux-mêmes refuseraient les limaces.

— Les canards se montreraient alors difficiles, objecta Marguerite ; mais, ne craignez rien, à force de rester avec nous, Baldabella s’habituera à notre nourriture ; elle ne croquera bientôt plus des vers de terre et autres reptiles du même genre. »

Plusieurs jours encore les voyageurs suivirent les bords du fleuve en remontant son cours, et la jeune femme australienne s’accoutumait de plus en plus à la vie de ses nouveaux amis. Elle avait même consenti à enlever de son nez ce hideux os de poisson qui la défigurait ; chaque matin elle se baignait, elle et son enfant, et enfin, un beau jour, elle demanda à goûter aux mets des voyageurs et cessa de recourir à son ancienne provision d’insectes et de reptiles.

Nakina, vêtue d’une robe par les soins de Marguerite, balbutia enfin les noms anglais des objets en usage parmi les Européens. Baldabella, au grand regret de Max Mayburn, manifestait la plus complète indifférence au sujet des exercices religieux de la famille Mayburn ; elle trouvait extraordinaire de voir ses amis s’agenouiller soir et matin quand Max Mayburn faisait la prière, et on la voyait s’éloigner pour couper du bois.