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AU PAYS DES KANGAROUS

de l’accompagner, et, marchant droit à l’homme noir qui tenait Nakina dans ses bras, il chercha à reprendre doucement l’enfant. Le sauvage résista et voulut repousser Arthur ; mais celui-ci, affectant une grande colère, appuya cette feinte de quelques paroles menaçantes et en montrant le fusil qu’il portait en bandoulière.

Le sauvage éprouva un sentiment de crainte en présence d’Arthur et à la vue de son arme à feu ; puis, avec des gestes, il chercha à faire comprendre que la couleur de la peau de l’enfant, de celle de sa mère et de la sienne lui donnait le droit de rendre la liberté à des prisonniers des usages blancs.

Arthur, à ces signes qu’il comprit, enjoignit à Baldabella de dire à ses compatriotes que c’était de son plein gré qu’elle restait avec eux, et que, s’ils ne la laissaient pas aller, ils s’exposaient à être tous tués par les voyageurs.

Baldabella obéit, et le sauvage lui répondit aussitôt d’une façon brutale.

« Mon frère visage noir, dit alors la pauvre sauvagesse à Arthur, dit que Black Peter veut Baldabella, et qu’elle doit aller le rejoindre. Non ! non ! bon blanc, ne permets pas cela ! Méchant Black Peter tuerait Baldabella et Nakina. »

Ces paroles apprirent à Arthur que les naturels avaient fait la connaissance du maudit convict évadé ; mais il se refusa mentalement à laisser Baldabella aux mains des noirs, quoi qu’il dût arriver de ce refus. Tandis qu’il réfléchissait au parti qu’il devait prendre, une des deux femmes, qui jusqu’alors était restée impassible, se leva, et s’approchant du noir dans les bras duquel se trouvait Nakina, lui parla d’une voix douce en s’efforçant de s’emparer de l’enfant. Le mécréant, laissant tomber l’enfant, saisit un bâton et en frappa la femme, qui s’affaissa, sinon morte, du moins sans connaissance.

Arthur ne put contenir davantage son indignation, et, apercevant un troupeau de kangarous qui passait à sa portée, attira l’attention de l’homme noir dans cette direction, et fît feu. Un des animaux tomba mort.

Les naturels, jusque-là très calmes, furent frappés de terreur, et quelques-uns se mirent à fuir.

Arthur, désignant alors le kangarou et ensuite Baldabella, exprima son désir d’échanger l’animal contre la femme noire et son enfant Nakina. Les deux sauvages qui retenaient Baldabella par les bras lâchèrent prise et coururent vers la proie, bien plus désirable pour eux, — le kangarou mort, – suivis de leur camarade à la grande taille, qui avait repoussé du pied la petite Nakina.

Baldabella saisit vivement son enfant et se réfugia au milieu de ses amis, se prosternant devant Arthur, dont elle prit le pied qu’elle plaça sur son cou, en signe de servage. Cela fait, elle se releva, et, d’un pas léger, reprit sa place dans l’ordre de la marche des voyageurs, qui s’éloignèrent en voyant avec plaisir que la victime de la brutalité du grand indigène avait été relevée par sa compagne, qui en prenait soin et lui prodiguait des paroles affectueuses.

« Quel dommage, s’écria Wilkins, de laisser cet excellent gibier aux