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AU PAYS DES KANGAROUS

Cette considération engagea donc les voyageurs à abandonner le moyen commode de locomotion des canots. Chargeant leurs bagages sur leurs épaules, sans oublier surtout les munitions, ils se mirent en marche du côté de la forêt sombre.

La plaine qu’ils traversaient était couverte d’une haute et épaisse herbe à fourrage, ou des milliers de bêtes à cornes, où des chevaux sans nombre eussent trouvé une abondante provende ; mais à leur place bondissaient deci, delà, des hordes de kangarous et des groupes d’émeus aux pieds rapides. Sur tous les arbres s’abattaient des oiseaux chanteurs et siffleurs dont les cris assourdissaient les voyageurs.

En approchant du bois sombre découvert le frère de Marguerite, celle-ci remarqua que Baldabella paraissait inquiète et semblait se refuser à aller plus avant. Après une demi-heure de marche, la sauvagesse se mit à trembler de tous ses membres, et dit à la sœur d’Arthur d’une voix émue :

« Bonne demoiselle, n’allez pas là. Méchants esprits tueront tout le monde, bon maître, vous, Baldabella. Méchants esprits très en colère : eux disent que personne ne doit pénétrer là dedans. »

Marguerite essaya de raisonner la malheureuse femme terrifiée. Elle se disposait à fuir en emportant son enfant, et en cherchant à l’arracher des bras de Marguerite. Mais lorsque la négresse vit que la fille de Max Mayburn continuait sa marche, tenant toujpurs Nakina sur sa poitrine, Baldabella s’écria d’une voix ferme qui dénotait un effort de courage :

« Je mourrai, soit ; mais je n’abandonnerai pas mes amis. »

Et elle reprit sa place aux côtés de Marguerite.

Arthur n’ignorait pas que les naturels croyaient superstitieusement à l’influence fatale des forêts sombres ; mais il s’imagina que Baldabella avait quelques notions particulières sur ce bois, lequel semblait un lieu redouté pour ses compatriotes. Cette découverte lui faisait désirer de plus en plus d’amener son père et ses compagnons sous ces arbres touffus, où nul ne viendrait certainement les attaquer.

Parvenus devant la forêt, les voyageurs comprirent facilement que cette obscurité profonde qui régnait en cet endroit fît naître la terreur dans l’esprit des sauvages. Ni les bêtes féroces, s’il y en avait, ni la lumière du ciel, ne devaient pouvoir se glisser sous ces feuillages impénétrables. Ce bois mystérieux, composé d’arbres élevés de l’essence des pins, des noyers et des cyprès, poussant les uns contre les autres était tellement compact, tellement tressé de branches en branches par des lianes inextricables qu’il formait pour les naufragés-voyageurs une forteresse capable de défier les attaques de tous les noirs réunis des pays australiens.

« Quel est parmi nous le « prince charmant » qui va se frayer un passage à travers la forêt enchantée ? dit alors O’Brien. Voilà une riche aventure, ou je ne m’y connais pas : qu’en penses-tu, Hugues ? Allons ! jouons du couteau et de la hache.

— Un peu de patience, mes amis ! observa Arthur. Nous allons d’abord faire le tour de la forêt, afin de découvrir, si faire se peut, un endroit accessible. Avançons avec prudence. Nous ouvrirons une sorte de tunnel sous