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VOYAGE

sement serrée dans une excavation de la roche, où aucune étincelle ne pouvait arriver ; les provisions, quoique de qualité inférieure, suffisaient aux besoins : il y avait des pommes de terre en quantité suffisante pour la nourriture d’une année.

« Allons, nous ne mourrons pas de faim, comme cela arrive, hélas ! dans notre pauvre pays aux malheureux qui n’ont ni pain ni protée. Mon cher capitaine, viens voir la tour naturelle que Hugues et moi avons découverte pour monter la garde. »

Arthur suivit les deux amis, qui, emportant l’échelle avec eux, l’amenèrent, à travers plusieurs détours, jusqu’à un trou élevé. Là ils dressèrent l’échelle et montèrent aussi haut qu’ils purent aller à l’aide de cet instrument. Puis ils s’aidèrent des pieds et des mains, et parvinrent vers une sorte de tour percée de trous en forme de créneaux, d’où l’on pouvait tout voir du haut au bas de la montagne.

De cette grande élévation, qui était le parapet, la lèvre du cratère, il leur était possible de veiller sur leur domaine jadis si tranquille et d’examiner les progrès de l’incendie, qui se développait en vastes torrents de fumée. Les arbres verts avaient longtemps résisté à l’inflammation ; mais, comme les noirs ne cessaient d’apporter des branches résineuses pour attiser la conflagration, les sentinelles virent des sillons de feu traverser la forêt, et les arbres brûlés tomber à travers de sombres nuages. Les branches craquaient, la flamme brillait, et le vent poussait l’incendie dans la direction de l’ouest. Les oiseaux, affolés, laissaient échapper des cris de terreur et s’élevaient dans les airs en tourbillonnant. Quant aux sauvages qui avaient ainsi détruit ces merveilles de la nature, on ne les voyait plus, on ne les entendait pas davantage.

Hugues ne pouvait s’empêcher de plaindre le sort de ces oiseaux brillants, que la chaleur intense suffoquait, et qui tombaient morts par terre ; Gérald se lamentait en voyant flamber la récolte nuire des avoines, tandis qu’Arthur, en proie à une émotion à peine contenue, attendait le cruel moment où, le feu atteignant les broussailles, les pierres qui cachaient les crevasses resteraient à découvert et laisseraient voir les issues de leur cachette.

« Arthur, quel parti allons-nous prendre ? s’écria Hugues. L’incendie fait de grands progrès de notre côté. Il vient de dévorer l’amas de feuilles de pommes de terre que nous avions malheureusement oublié de rentrer. Les flammes atteignent le jardin de Marguerite. Grand Dieu voilà les étincelles qui retombent sur les broussailles qui recouvrent la caverne. Pauvre père ! Chère Marguerite !

— Allons les rejoindre au plus tôt, répondit Arthur ; nous n’avons plus rien à faire ici. Nous devons les consoler et les conduire, si faire se peut, dans un des boyaux les plus cachés de la caverne. Là peut-être échapperons-nous aux fureurs de la conflagration.

— N’avons-nous pas nos fusils pour les défendre ? Notre cause est juste, fit Hugues.

— Certainement, répliqua Arthur. Dieu fasse cependant que nous ne soyons pas obligés de répandre le sang ! nous serions pourtant dans notre droit. Encore un coup d’œil, Gérald. Vois-tu nos ennemis ?