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du reste, que l’histoire de Lancelot n’est qu’une reproduction de celle de Tristan. Outre cela, Paulin Paris a eu l’occasion de constater plus d’une fois l’interpénétration des deux cycles de légendes, dans les versions en prose que nous en ont laissé les divers auteurs ou assembleurs. (Voir, à ce sujet, Les Romans de la Table ronde, par Paulin Paris, tome v, pages 341, 343, 347, etc.)

Sans prétendre esquisser ici la moindre étude de littérature comparée, il est bon de noter cela en passant, comme aussi la commune destinée des deux cycles, qui ont persisté à travers les temps chacun de son côté, reparaissant, à des époques n’ayant aucune communauté de tendances littéraires, sous forme tour à tour de romans, de drames, de contes ou de poèmes, toutes productions d’essence forcément identique, mais forcément différentes suivant les qualités propres des auteurs. C’est ainsi que le Roi Arthus fut évoqué tour à tour par Creuzé de Lesser, le marquis de Tressan, Immermann, Theophilo Braga, Tennyson, Claude Bernard même, et d’autres que j’oublie ; Tristan, par Hans Sachs, Creuzé de Lesser et Immermann encore, Hermann Kurtz, etc.[1].

Toutefois, à l’encontre de Tristan et Iseult, dont l’histoire ne fut mise en musique que par Richard Wagner, Arthus, Lancelot et Genièvre ont intéressé plus d’un musicien, et, parmi les partitions plus ou moins connues dont ils sont les héros, qu’il me suffise de citer celles de Henri Purcell, de T. Simpson Cooke (Londres 1835), d’Emile Büchner, de Theodor Hentschel (Brême 1878) et de M. Victorin de Joncières. Enfin, M. Albeniz prépare en ce moment une trilogie sur le même sujet.

Pour en revenir à la question des origines du poème d’Arthus, il me semble que l’on voit clairement combien il serait

vain de chercher dans l’œuvre de Chausson une imitation de Tristan et Isolde de Wagner ; chacun de ces deux drames a été directement tiré d’un cycle de légendes ; et les deux cycles sont analogues par suite de leur communauté d’origine. Il serait d’autant plus puéril d’ergoter sur des rapprochements de détail, que ce n’est point le schème de l’action qu’il importe surtout de considérer ; le plus intéressant, c’est la part d’invention dramatique et surtout psychologique, qui est le fait de l’auteur seul, et aussi la philosophie qui se dégage du drame et qui, nous le verrons, appartient bien en propre à Ernest Chausson.

(À suivre),
M. D. Calvocoressi.

TANNHÄUSER

Quelle étrange destinée que celle de cette œuvre de Wagner, qui, jouée pour la première fois à Dresde en 1845, fut sifflée à Paris en 1861, mutilée par des coupures et véritablement travestie sur la plupart des scènes allemandes, ressuscitée dans toute sa splendeur à Bayreuth en 1891, jouée dans notre ville en 1892, et acclamée enfin à l’opéra de Paris en 1895 qui en donna triomphalement la quatrième représentation trente-quatre ans après le désastre de 1861 !

Cette suite d’événements est assez importante pour que nous la rappelions à l’occasion de la reprise de Tannhäuser, donnée samedi au Grand-Théâtre.

La composition. — La première à Dresde.

Le premier séjour de Wagner à Paris (1839-42) avait été bien dur. Arrivé plein d’espoir, il dut subir chacun des jours de ces trois années une nouvelle désillusion. Aucune des brillantes promesses qu’on lui avait d’abord faites ne fut tenue ; pauvre, privé de ressources et de relations, il continuait la composition de

  1. Voir M. Kufferath, Tristan et Iseult.