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revue musicale de lyon

d’aller. Dis-le lui donc, car à présent on jette facilement les ducats par les fenêtres…

Zurich, 29 mai 1852.

R. W.


Je travaille assidûment et compte avoir terminé dans 19 jours le poème de ma Walkyrie. Ma Walkyrie est splendide. J’espère pouvoir te soumettre tout le poème de la tétralogie bientôt. Je ferai la musique très facilement et très vite, car elle n’est que l’exécution d’une œuvre déjà achevée.

10 Juin 1852.

R. W.

La semaine dernière j’ai achevé mes nouveaux poèmes pour les deux Siegfried, mais je dois retoucher les deux pièces antérieures, le jeune Siegfried et la mort de Siegfried car il est absolument nécessaire d’y faire des changements considérables. Le titre complet est : L’Anneau du Niebelung : solennité dramatique en trois jours et une veille. Veille, l’or du Rhin ; premier jour la Walkyrie ; deuxième jour, le jeune Siegfried ; troisième jour, la mort de Siegfried. Quel sera le sort de cette œuvre qu’est l’expression poétique de ma vie et de tout ce que je suis, de tout ce que je sens ? Il m’est impossible de le prévoir, mais ce qui est certain, c’est que, si l’Allemagne tarde à me rouvrir ses portes, s’il faut que je reste ainsi sans aliment, sans stimulant pour mon existence d’artiste, alors l’instinct de la conservation animale me poussera à renoncer pour jamais à l’art ! Où irai-je pour subsister ? je l’ignore mais je ne ferai pas la musique des Niebelungen et seul un homme sans pitié pourrait me demander de rester plus longtemps l’esclave de mon art.

Zurich, 9 novembre 1852

R. W.


À ces angoisses découragées le noble et fidèle Liszt répond par une longue et ardente lettre criant courage, courage au triste exilé de Zurich :

Où en es-tu de tes Niebelungen ? Quelle joie ce sera pour moi d’apprendre à connaître ton œuvre par toi-même. Pour l’amour de Dieu, ne te laisse pas détourner de ton entreprise et continue hardiment à forger tes ailes ! Tout est éphémère, la parole de Dieu seule est éternelle, or la parole de Dieu se révèle

dans les créations du génie.

(À suivre).


LA TÉTRALOGIE

Jugée par Claude DEBUSSY

L’Exquis compositeur de Pelléas a été pendant quelque temps chroniqueur musical à la défunte Revue-Blanche et plus récemment au Gil Blas, lors de la transformation de ce journal sous la direction de M. M. Ollendorff et Périvier. M. Debussy y a écrit, pendant quelques mois seulement, des feuilletons hebdomadaires d’un esprit paradoxal et d’une originalité savoureuse. C’est d’un feuilleton du Gil Blas (1er  juin 1903) que nous extrayons cette curieuse opinion sur l’Anneau du Nibelung, dont la lecture scandalisera certainement plus d’un Wagnérien :

On se figure mal l’état dans lequel peut mettre le cerveau le plus robuste, l’audition des quatre soirées de « la Tétralogie »… Il s’y danse un quadrille de « leit-motive » où celui du « cor de Siegfried » fait de curieux vis-à-vis avec « la lance de Wotan », tandis que le thème de « la Malédiction » exécute d’obsédants cavaliers seuls.

C’est même plus que de l’obsession… C’est une main-mise totale. Vous ne vous appartenez plus, vous n’êtes plus qu’un « leit-motiv » agissant, marchant dans une atmosphère tétralogie.

Nulle habitude quotidienne de civilité ne nous empêchera désormais d’interpeller vos semblables autrement que par des clameurs de Walkyrie !… « Hoyotoho !… Heiaha !… Hoyohei !… » Comme c’est gai ! Hoyohei !… Que dira le marchand de journaux ! Heiaho !…

Ah ! mylord ! que ces gens à casques et à peaux de bêtes deviennent insupportables à la quatrième soirée… Songez qu’ils n’apparaissent jamais sans être accompagnés de leur damné « leitmotiv » ; il y en a même qui le chantent ! Ce qui ressemble à la douce folie de quelqu’un qui, vous remettant sa carte de visite, en déclamerait lyriquement le contenu ! Puis c’est un double emploi du plus fâcheux effet ; et, qu’en devient le rôle psychologique dévolu à l’orchestre qui nous impose pendant ces quatre soirées d’innombrables commentaires sur cette histoire « d’anneau » perdu, puis retrouvé, et qui passe de mains en mains comme dans le