Page:Revue de Paris, 29è année, Tome 2, Mar-Avr 1922.djvu/192

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Il serait désastreux de créer un malentendu entre les deux sœurs latines, là où leur primordial intérêt est de s’unir et de se compléter. Cette volonté d’entente qui l’emporte sur les patriotismes aveugles, il est à souhaiter que l’Angleterre ne risque pas de la faire dévier en introduisant dans le débat sa politique personnelle. Peut-être la Grande-Bretagne estime-t-elle qu’entre deux nations de race latine, son intervention anglo-saxonne est nécessaire ? Peut-être se mêle-t-il, dans ses préoccupations actuelles, non pas seulement le légitime souci de soutenir à Tanger les intérêts de ses nationaux, mais encore celui de jouer en quelque sorte le rôle de l’arbitre prédestiné ? Toujours est-il que nous nous refusons à croire, comme d’aucuns l’ont prétendu, que les hommes d’État de Downing-street, qui s’effarouchent toujours avec grandiloquence de l’impérialisme des autres, inclinent dans la question de Tanger à partager le point de vue impérialiste qu’une certaine opinion publique entretient en Espagne.

Il ne peut y avoir là que des assertions tendancieuses, comme nous en avons vu malheureusement trop souvent compliquer une situation européenne qui n’est déjà pas simple.

M. Lloyd George et lord Curzon, dans la manière un peu rude qui leur est familière, ont laissé tomber à Cannes le mot « Tanger ». C’est un mot qui a déjà fait si peur à l’Europe qu’on ne peut le prononcer sans qu’aussitôt les fronts des uns et des autres se plissent. Grâce à Dieu, ce ne sont là que de vieux réflexes désormais inutiles. « Tanger » ne signifie plus aujourd’hui dans l’œuvre marocaine commune qu’un simple point de détail qu’un peu de bonne volonté réciproque suffira à régler. Et demain, « Tanger », nous en sommes sûrs, délivrée des incertitudes qui pèsent depuis dix ans sur elle, ne représentera plus qu’une ville heureuse et blanche, escale ensoleillée au milieu des houles, et qui sera, avec ses jardins et ses terrasses, pour le voyageur un peu ému, comme le premier sourire de l’Islam.

WLADIMIR D’ORMESSON