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LES QUATRE FILS D’ÈVE

Combien le pauvre Adam eut à travailler, pour remplir ses devoirs de père de famille !

En quelques jours, afin de construire les bâtiments de la ferme où il logerait Ève et leurs enfants, il fut obligé de s’improviser charpentier, menuisier et serrurier.

Puis il eut à domestiquer un grand nombre d’animaux, tant pour l’aider dans son travail que pour rendre sa nourriture plus abondante. Il s’empara du cheval, mit le joug au bœuf, persuada à la vache de se tenir tranquille dans une étable et de se laisser traire avec résignation, réussit à convaincre la poule et le cochon qu’ils devaient vivre auprès de l’homme, pour que celui-ci pût les tuer commodément chaque fois que l’envie lui viendrait de les manger.

Adam eut aussi à défricher les terres vierges pour les mettre en culture, à jeter bas des arbres énormes, à défoncer profondément le sol dur et rocailleux ; et il fit tout cela avec des outils de bois et de pierre inventés par lui-même : car il ne faut pas oublier qu’à cette époque Caïn, qui est le premier forgeron dont parle l’histoire, tétait encore le sein de sa mère.

Comme l’homme ne vit pas seulement de pain et que les friandises sont ce qui rend la vie agréable, Adam s’occupa avec plus de soin de son jardin, où poussaient les meilleurs arbres fruitiers, que de ses champs, où il cultivait d’autres denrées plus essentielles pour l’alimentation. À propos de ce jardin, le tio Correa, ému par les souvenirs de son pays dans cette pampa monotone où il n’y a que du blé et de la viande, énuméra avec complaisance les arbres aux doux fruits qui embellirent le premier verger créé par l’homme. Il décrivit le figuier, dont les feuilles découpées en pointes ressemblent à des mains ouvertes, dont le tronc gris et rugueux paraît recouvert de peau d’éléphant, et qui, les matins de soleil, laisse tomber de branche en branche un fruit qui, en s’écrasant sur le sol, montre ses entrailles rouges et granuleuses. Il décrivit l’oranger, avec son parfum d’amour, avec ses boules de miel enfermées dans des sphères d’or ; et toutes les variétés de pêchers et de bananiers ; et le melon qui vit sur le sol pour absorber mieux les sucs dont se compose sa chair blanche comme l’ivoire.

Parfois Adam se rappelait le pommier du Paradis et le serpent enroulé au tronc de l’arbre : ce serpent qui avait