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LA REVUE DE PARIS

cadeau ? Ou les a-t-elle enfermées toutes dans l’étable en compagnie de nos pauvres aïeux ?

Il s’éleva du cercle un murmure de curiosité, un peu semblable à celui qui s’élève d’une réunion électorale quand le discours d’un candidat est coupé par une objection imprévue. Tous les yeux se tournèrent vers le vieux, qui se grattait la tête et qui regardait à terre avec embarras. Mais soudain il sourit, triomphant.

― On voit bien, ― dit-il d’un ton bonasse, ― que celui qui a posé cette question est jeune et sans expérience. Ève était femme et connaissait trop bien les besoins des femmes pour perdre son temps à faire des démarches inutiles. Dieu a beau être Dieu et disposer de tout ce qui existe ; à partir du jour où il a donné la vie aux femmes, ce n’est plus à lui qu’il appartient de leur rien donner.

Et il s’interrompit, pour jouir de la surprise et de l’intérêt avec lesquels ses paroles avaient été accueillies. Puis il s’expliqua :

― Avant leur naissance, Dieu peut leur donner à pleines mains la beauté, la grâce, et même, quelquefois, la discrétion et le talent. Mais, dès qu’elles sont au monde, l’homme est leur unique espérance. Tout ce qu’elles sont et tout ce qu’elles possèdent, elles le doivent à l’homme. C’est pour elles que les pauvres peinent, que les politiciens exercent le pouvoir, que les soldats accomplissent leurs prouesses, que les millionnaires entassent l’argent, que la justice se relâche le plus facilement de sa dureté. Non, les femmes n’ont rien à demander à Dieu, puisqu’elles reçoivent tout des hommes. Et, quand les hommes travaillent pour la gloire, pour l’ambition ou pour la richesse, ils ne font, en somme, que travailler par et pour elles.


V. BLASCO IBÁÑEZ

(Traduction de GEORGES HÉRELLE)