Page:Revue de Paris, 29è année, Tome 2, Mar-Avr 1922.djvu/514

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compris, sans me tromper, son rôle futur dès le premier jour pascal de la révolution. La mitrailleuse !


24 mai, soir. — Si j’étais un honnête Italien, Français, Anglais ou même Allemand (mais dans tous les cas honnête), dans une réunion publique quelconque, à l’Opéra, à une exposition, dans un couloir parlementaire, je m’approcherais d’un Russe connu, Léonide Andreïeff par exemple (l’immunité des Andreïeff est une blague), et je lui donnerais une gifle accompagnée des paroles suivantes :

« En ta personne, Andreïeff, je gifle tout ton peuple. »

Il y a des peuples malheureux, dignes de respect et de compassion, comme le peuple belge. Il y a des peuples qui méritent une sensiblerie condescendante comme les Grecs, même des larmes furieuses comme les Serbes. Il y en a d’autres, à l’égard desquels on peut ressentir de la haine ou de la rage. Ce sont d’ailleurs des peuples heureux. Le peuple russe, pour la haine et la colère, est trop infortuné. Pour la sensiblerie condescendante, il est trop grand et trop sain. La pitié, il n’y a pas droit. Et la seule chose dont il est digne, et qu’il mérite, et à laquelle il n’échappera point, c’est une gifle. Une gifle cinglante, injurieuse et terrible dans toute la violence de son élan historique.


31 mai, soir. — Encore Gorki. Je suis torturé en pensant à lui et à l’injustice. Ces jours-ci, j’ai eu entre les mains un numéro de la Novaïa Jizn. Toujours la même infamie. Ce journal communique que la Société Culture a organisé un meeting pour réunir des livres ; Zelinsky et d’autres hommes véritablement respectables en font partie ; le président est Gorki et le vice-président V. F. Figner. Ce qui me torture, c’est que ma haine et mon mépris pour Gorki resteront sans preuves. Si Figner, Zelinsky et d’autres peuvent travailler avec Gorki, c’est qu’ils ne voient pas ou ne comprennent pas ce qui est clair ; et il faudrait établir tout un acte d’accusation pour leur démontrer la culpabilité de Gorki et le degré de sa participation à la ruine et à la perte de la Russie. Un tel acte d’accusation, irréfutable, mortel, on peut le dresser en suivant dès son premier numéro la Novaïa Jizn. Mais