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LA REVUE DE PARIS

surgissent, chaque jour plus graves et plus nombreux, de cette campagne de non-coopération. Gandhi a beau répéter qu’on ne doit pas résister au mal ; il a beau ressasser son évangile d’amour et d’oubli du moi : les foules lui échappent ; une partie de ses disciples le jugent trop modéré et l’ont déjà dépassé. À chaque effusion de sang, il jeûne et fait solennellement pénitence ; il ordonne de suspendre le mouvement. Huit jours après, il recommence. Ascète et saint qu’il est aux yeux des masses et peut-être en réalité, cela ne l’empêche pas d’avoir toute l’astuce d’une singulière expérience politique. En condamnant la violence, ne cherche-t-il pas surtout à détourner de lui les foudres du pouvoir ? Qu’attendent les autorités britanniques pour couper court à sa malfaisance en le mettant sous les verrous ?

Craint-on qu’il ne se pare de la palme du martyre ? craint-on que ses partisans ne s’insurgent ? Il est le « Mahatma », le grand inspiré, qui passe pour posséder des pouvoirs extraordinaires et pour commander aux forces de la nature. L’Inde, toute pleine encore de thaumaturges et de prodiges, est convaincue que le Gouvernement a peur de lui, que le Gouvernement ne peut seulement pas le toucher, qu’il se jouera de la police, des juges et des portes des prisons. « Empoignez l’ortie à pleine main et vous verrez qu’elle ne pique pas autant que vous le pensiez », s’écrie dans les colonnes du Times un ancien gouverneur de Birmanie et membre du Conseil de l’Inde, qui est pour la manière forte.

Après mainte hésitation et maint contre-ordre, le Vice-Roi des Indes a, le samedi 11 mars, fait inculper Gandhi d’excitations à la sédition. Au milieu des cantiques de ses fidèles il a été arrêté sans fracas dans sa résidence d’Ahmedabad. « Travaillez ferme et sans vous lasser », leur a-t-il dit, en exhortant tous ceux qui aiment l’Inde à maintenir une paix parfaite d’un bout à l’autre du pays.

Nul ne lui a désobéi jusqu’ici. Le Gouvernement britannique est le premier surpris de ce grand calme, presque alarmant. Entre ceux qui approuvent l’arrestation et ceux qui estiment que jamais plus lourde faute n’a été commise, les arguments continuent à s’échanger. Le sort d’un grand Empire tremble dans la balance.