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LA REVUE DE PARIS

proférée, qu’elle-même avait répétée : « Il est tard, il est trop tard ! »

— Votre promesse, votre promesse !… Je ne veux plus attendre, Perdita ! je ne le peux plus…

Le bassin maritime, voluptueux comme une gorge qui s’offre, l’estuaire perdu dans l’ombre et dans la mort, la cité allumée par la fièvre crépusculaire, l’eau coulant dans la clepsydre invisible, le bronze vibrant dans le ciel, le désir suffocant, les lèvres serrées, les paupières baissées, les mains arides, tout revint dans son esprit avec le souvenir de la muette promesse. Sauvage fut l’ardeur dont il convoita cette chair profonde.

— Non, je ne veux plus attendre !

Elle lui venait de loin, de très loin, cette ardeur : des plus antiques origines, de la primitive animalité des unions soudaines, de l’antique mystère des fureurs sacrées. De même que la troupe envahie par le dieu descendait le long de la montagne en déracinant les arbres, et s’avançait avec une fougue de plus en plus aveugle, et, sans cesse grossie de nouveaux déments, propageait la folie partout sur son passage et devenait enfin une immense multitude bestiale et humaine, frémissant d’une volonté monstrueuse, de même, en lui, cet instinct cruel se précipita, confondant et entraînant toutes les idées de son esprit avec une agitation vertigineuse. Et dans la femme nomade et désespérée, ce qu’il désira, ce fut l’être opprimé par l’éternelle servitude de sa nature, l’être destiné à succomber aux subites convulsions de son sexe, l’être qui apaisait la fièvre lucide de la scène dans la volupté somnifère, l’actrice ardente qui passait de la frénésie de la foule à la force du mâle, la créature dionysiaque qui, comme dans l’Orgie, couronnait par l’acte de vie le rite nocturne.

Son désir fut insensé et sans mesure, fait de cruauté, de rancune, de jalousie, de poésie et d’orgueil. Il regretta de n’avoir pas possédé l’actrice après un triomphe scénique, chaude encore du souffle populaire, couverte de sueur, haletante et défaillante, avec les vestiges de l’âme tragique qui avait pleuré et crié en elle, avec les larmes de cette âme étrangère encore humides sur son visage contracté. Dans un éclair, il la vit abattue, pleine de la puissance qui avait arra-