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LE FEU

mêmes termes ; mais ces souvenirs, maintenant, se représentaient à lui comme des visions inattendues.

— Et puis, c’étaient les troupeaux qui passaient le long du rivage. Ils venaient de la montagne, allaient vers les plaines de la Pouille, d’une pâture à une autre pâture. En marchant, les brebis laineuses imitaient le mouvement des vagues ; mais la mer était presque toujours tranquille, alors que passaient les troupeaux avec leurs pasteurs. Tout était tranquille ; sur les grèves s’étendait un silence d’or. Les chiens couraient au long du troupeau ; les pasteurs s’appuyaient sur leurs bâtons ; faible était le tintement des clochettes dans cette immensité. Tu suivais des yeux le voyage, jusqu’au promontoire. Et ensuite, avec ta sœur, tu allais regarder les traces laissées dans le sable humide qui était, çà et là, criblé de trous et doré comme les rayons de miel… Qui me les a dites, ces choses ?

Il l’écoutait, presque heureux. Sa fièvre était tombée. Une paix lente descendait sur lui comme un léger sommeil.

— Puis venaient les bourrasques ; la mer franchissait la dune, envahissait le maquis, laissait des baves sur le genévrier et sur le tamaris, sur le myrtil et sur le romarin. Une quantité d’algues et d’épaves étaient rejetées sur la rive. Là-bas, quelque barque avait fait naufrage. La mer apportait le bois pour les pauvres, et le deuil, Dieu sait où ! La grève se peuplait de femmes, de vieillards, d’enfants : c’était à qui ramasserait le plus gros fagot. Alors, ta sœur distribuait d’autres secours : le pain, le vin, les légumes, le linge. Les bénédictions couvraient la rumeur des vagues. Tu regardais de la fenêtre ; et il te semblait que nulle de tes images ne valait l’odeur du pain chaud. Tu abandonnais la page inachevée, tu descendais pour aider Sofia. Tu parlais avec les femmes, avec les vieillards, avec les enfants… Qui me les a dites, ces choses ?

Gabriele d’Annunzio
(Traduction de G. Hérelle.)
(À suivre.)