Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
LE FEU

autour duquel, comme autour d’un thyrse, il avait enroulé les guirlandes de sa poésie.

Alors, le nom qui avait déjà résonné contre la cuirasse du vaisseau dans le silence et dans l’ombre, le nom qui, dans les ondes infinies des cloches crépusculaires, s’était perdu comme une feuille sibylline, lui parut proposer ses syllabes à l’orchestre comme un thème nouveau que recueillirent les archets. Violons, violes et violoncelles le chantèrent tour à tour ; les éclats soudains des trompettes héroïques l’exaltèrent ; enfin tout le quatuor le fit jaillir d’un seul coup dans le ciel de la joie où plus tard devrait briller la couronne d’étoiles offerte à Ariane par Aphrodite d’or.

Le jeune homme éprouva un trouble singulier, presque religieux, devant cette annonciation. Il comprit tout ce que valait pour lui, en cet inestimable moment lyrique, de se trouver seul au milieu des statues blanches et immobiles. Un lambeau de ce même mystère que, sous le flanc du vaisseau, il avait effleuré comme on effleure un voile fugitif, semblait onduler maintenant sur ses yeux, dans cette salle déserte et pourtant si voisine de la multitude humaine. — Ainsi, sur le rivage, près du flot, se tait une conque marine. — Il croyait sentir encore une fois, comme il l’avait déjà sentie à certaines heures inoubliables, la présence de son destin qui allait donner à son âme une impulsion nouvelle et peut-être y susciter une volonté merveilleuse. Et, considérant la médiocrité des mille destins obscurs suspendus sur les têtes de cette foule attentive aux apparitions de la vie idéale, il se félicita de pouvoir adorer à l’écart ce démon propice qui venait le visiter secrètement pour lui offrir dans le nom d’une amante inconnue un don enveloppé.

Il tressaillit, à l’éclat des voix humaines qui saluaient d’une triomphale acclamation le dieu invaincu :

Viva il forte, viva il grande

La salle profonde résonna comme une immense timbale vigoureusement frappée ; et le résonnement se propagea par l’Escalier des Censeurs, par l’Escalier d’Or, par les galeries, par les vestibules, jusqu’aux Puits, jusqu’aux fondations du palais, comme un tonnerre d’allégresse dans la nuit sereine.