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LE FEU

Mais voilà que, tout à coup, s’élevait des sonorités héroïques un large rythme pastoral évoquant le Bacclius thébain, au front pur ceint de pensées suaves :

Quel che all’olmo la vite in stretto nodo
Pronuba accoppia, e ipampini feconda[1]

Deux voix, seules, en une succession de sixtes, chantaient les noces végétales, le vert mariage, les liens flexueux. L’image de la barque chargée de grappes comme la cuve prête pour la vendange, cette image déjà créée par la parole du poêle, passait de nouveau dans les yeux de la multitude. Et de nouveau le chant accomplit le prodige dont fut témoin le prudent pilote Médéide : « Et voilà qu’un vin doux et parfumé coula par tout le noir et rapide navire… Et voilà que, jusqu’au haut de la voile, une vigne grimpa ; et d’innombrables raisins y pendaient. Et un beau lierre sombre s’enroulait à la vergue, et il était couvert de fleurs, et de beaux fruits naissaient parmi son feuillage. Et tous les tolets des rames avaient des guirlandes… »

L’esprit de la fugue passait alors dans l’orchestre et s’y déployait légèrement en belles volutes, tandis que les voix battaient sur la trame orchestrale, d’une percussion simultanée. Et de nouveau, tel un thyrse brandi sur la troupe bachique, une voix seule fit monter la mélodie nuptiale où riait la grâce de l’hymen agreste :

Viva dell’olmo
E della vite
L’almo fecondo
Sostenitor[2] !

Les voix seules évoquaient l’image de Thyades debout qui, parmi les fumées de l’ivresse, balanceraient mollement leurs thyrses ornés de corymbes et de pampres, vêtues de longues robes safranées, le visage en feu, lascives comme ces femmes du Véronèse qui s’inclinaient sur les balustres aériens pour boire le chant.

Mais l’acclamation héroïque s’éleva dans un transport final. Le visage du dieu conquérant reparut parmi les torches

  1. « Celui qui, d’un nœud étroit, marie la vigne à l’ormeau, — les accouple et féconde les pampres… »
  2. « Vive de l’ormeau — et de la vigne — le nourricier, le fécond — soutien ! »