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lui de la jalousie qui caractérise le faux Aristobule, de la haine sombre qui remplit le cœur de Tatien. Saint Justin seul[1] atteint à cette haute sympathie. Philon aime surtout les philosophes et voit en eux la fleur du génie grec. Il a un vrai culte pour Platon : il l’appelle « très saint » ; la réunion des sages antiques lui apparaît comme un « thiase sacré ». Il n’adhère absolument à aucune secte, il est éclectique à la manière de Cicéron, tour à tour platonicien, stoïcien, pythagoricien, ou croyant l’être. Il est en réalité hellénique, voyant la lumière dans ce grand soleil de la vérité que la Grèce avait créé et où toute raison a son foyer d’origine, son centre de retour.

Comment avec cela Philon reste-t-il Juif ? C’est ce qu’il serait assez difficile de dire, s’il n’était notoire que, dans ces questions de religion maternelle, le cœur a des sophismes touchants pour concilier des choses qui n’ont aucun rapport entre elles. Platon aime à éclairer ses philosophèmes par les mythes les plus gracieux du génie grec ; Proclus et Malebranche se croient dans la religion de leurs pères, le premier en faisant des hymnes philosophiques à Vénus, le second en disant la messe. La contradiction, en pareille matière, est un acte de piété. Plutôt que de renoncer à des croyances chères, il n’y a pas de fausse identification, de biais complaisant qu’on n’admette. Moïse Maimonide, au xiie siècle, pratiquera la même méthode, affirmant tour à tour la Thora et Aristote, la Thora entendue à la façon des talmudistes, et Aristote entendu à la façon matérialiste d’Ibn-Roschd. L’histoire de l’esprit humain est pleine de ces pieux contresens. Ce que faisait Philon il y a dix-neuf cents ans, c’est ce que font de nos jours tant d’esprits honnêtes, dominés par le parti pris de ne pas abdiquer les croyances qui se présentent à eux comme ayant un caractère ancestral. On risque les tours de prestidigitation les plus périlleux pour concilier la raison et la foi. Après avoir obstinément nié les résultats de la science, quand on est forcé par l’évidence, on fait volte-face et l’on dit avec désinvolture : Nous le savions avant vous.

Retrouver la philosophie grecque dans la Bible, prouver que les belles découvertes de la Grèce, le génie hébreu les

  1. Origines du christianisme, VI, p. 386 et suiv.