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le retour d’imray

Enfin le travail du grand Empire des Indes recommença, parce qu’il ne pouvait s’attarder. Après avoir été un homme, Imray devint un mystère, — une de ces choses dont on parle au club pendant un mois, et qu’ensuite on oublie complètement. — Ses fusils, ses chevaux et ses voitures furent vendus. Un officier supérieur écrivit en Angleterre une lettre absurde à la mère d’Imray pour lui dire que son fils avait disparu sans qu’on sût comment. Le bungalow d’Imray était inhabité.

Trois ou quatre mois de la terrible saison chaude étant écoulés, mon ami Strickland, de la police, loua au propriétaire le bungalow abandonné. Il faisait alors des recherches chez les indigènes. Strickland vivait en original, et on se plaignait fort de ses manières et de ses habitudes. Il y avait toujours de quoi manger chez lui, mais jamais d’heures fixes pour les repas. Strickland mangeait debout ce qu’il trouvait dans le buffet, régime peu sain pour l’estomac humain. Six carabines, trois fusils, cinq selles et une collection de cannes à pêche, droites, plus grandes et plus fortes que les plus grandes et les plus fortes qu’on emploie pour le saumon, voilà son mobilier, qui remplissait une moitié du bungalow ; l’autre était occupée par Strickland lui-même et sa chienne Tietjens. Tietjens, un animal énorme de Rampur, aboyait au commandement et dévorait tous les jours la ration de deux hommes. Elle parlait à Strickland une langue personnelle. Si, dans sa promenade, elle entrevoyait des choses capables de troubler la paix de Sa Majesté la Reine Impératrice, vite elle venait avertir son maître, qui se mettait en campagne ; il s’ensuivait pour les gens des ennuis, des amendes et de la prison. Les indigènes prenaient Tietjens pour un esprit familier et la traitaient avec le profond respect qui suit la haine et la crainte.

Une des chambres du bungalow était consacrée à son usage, avec un lit, une couverture et une écuelle. Si quelqu’un entrait la nuit dans la chambre de Strickland, Tietjens renversait l’intrus et aboyait jusqu’à ce qu’on apportât une lumière. Strickland doit la vie à sa chienne. Il était à la frontière, où il cherchait un assassin. Au petit jour, le criminel se glissa sous la tente de Strickland, un poignard entre les

1er Mars 1894.
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