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la revue de paris

d’une grange, mais la lumière était bleu pâle et non jaune. En regardant à travers mes stores de bambou, je pouvais voir la grande chienne debout sous la véranda, le dos hérissé, les pattes raides comme les cordes en fer d’un pont suspendu.

J’essayais de m’endormir dans les intervalles des coups de tonnerre, mais il me semblait que quelqu’un me demandait. Qui était-ce ? Il s’efforçait de m’appeler par mon nom, et sa voix n’était qu’un murmure enroué. Puis, le tonnerre cessa ; Tietjens sortit dans le jardin et se mit à hurler contre la lune. Quelqu’un cherchait à ouvrir ma porte, marchait à travers la maison, respirait bruyamment dans la véranda ; et, juste au moment où je m’endormais, il me sembla qu’on frappait à ma porte et sur ma tête, et qu’on criait très fort.

Je courus dans la chambre de Strickland :

— Est-ce que vous souffrez ? lui demandai-je, m’avez-vous appelé ?

Il était sur son lit, à demi habillé, une pipe à la bouche.

— Je pensais que vous viendriez, dit-il. Est-ce que je me suis promené dans la maison ?

Je lui expliquai qu’il était allé dans la salle à manger, dans le fumoir ; alors il se mit à rire et me dit de m’en retourner et de me coucher. Je lui obéis et je dormis jusqu’au matin ; mais, dans tous mes rêves, je me croyais coupable envers quelqu’un à qui je refusais mon aide. Je ne pouvais deviner ce qu’il voulait, mais un être murmurant, flânant, remuant, ouvrant les serrures, me reprochait mon inertie ; et, dans tous mes rêves, j’entendais Tietjens qui hurlait dans le jardin et la pluie qui tombait à verse.

Je restai deux jours dans la maison. Strickland allait à son bureau, me laissant seul pendant huit ou dix heures, avec Tietjens pour unique société. Tant que durait le plein jour, j’étais à mon aise et Tietjens aussi ; mais, au crépuscule, elle et moi nous rentrions dans la véranda, comme dans un refuge, nous serrant l’un contre l’autre.

Nous nous croyions seuls dans la maison. Malgré cela, elle était occupée par un autre habitant, avec lequel je n’avais aucun désir de demeurer. Jamais je ne l’apercevais, mais je voyais les rideaux qui séparaient les différentes pièces