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Celui qui ne voudra pas de la paix sera exterminé. Comme dans toutes les utopies de suppression universelle de la guerre, en effet, la paix est maintenue par une force armée irrésistible, qui aurait les mêmes inconvénients que le mal qu’on veut empêcher. Les Saints, organisés en une sorte de ligue de la paix et ayant à leur tête un roi terrible tiré par des contre-sens du texte grec des prophéties de Balaam[1], seront les gendarmes pacifiques des nations. Dieu combattra avec eux ; ils n’auront pas de sang à verser : à la fois dignes, redoutables et bons, ils régneront par le respect, la crainte et l’amour. La richesse, le bien-être, la santé, la force du corps seront les caractères de ce règne bienfaisant d’Israël.

L’ancien génie hébreu n’est nullement mystique. Philon l’est au plus haut point. Il admet un degré de clairvoyance religieuse supérieure, où l’on arrive avec l’aide de la grâce divine. et où l’on contemple l’Être éternel face à face. L’extase est l’union de l’âme avec Dieu. L’âme revient ainsi à son origine transcendante. L’extase d’Abraham a lieu au coucher du soleil[2] : car l’esprit divin se lève quand notre conscience individuelle se couche et réciproquement. Un tel état ressemble à la folie : il est divin en réalité ; car Dieu alors se substitue à l’homme, agit par ses organes. Les abus de l’ascèse ne paraissent pas encore chez Philon : ces états merveilleux s’obtiennent par l’enthousiasme, par l’amour et le renoncement à soi-même.

Philon, on le voit, se livrait à des spéculations d’un ordre assez contradictoire. Sa prodigieuse activité intellectuelle ne s’imposait pas d’unité. Ses œuvres formeraient dix volumes considérables, et il s’en est beaucoup perdu. Le Pentateuque est l’objet perpétuel de ses commentaires : il parait l’avoir embrassé trois fois, à des points de vue divers, tantôt s’adressant aux non Juifs, tantôt à ses propres coreligionnaires. La vie de Moïse est curieuse comme biographie du législateur hébreu écrite en vue de plaire à des lecteurs païens. Les œuvres apologétiques[3] et

  1. Nombres, xxi, 7
  2. Gen., xv, 12.
  3. L’Apologie des Juifs de Philon ne nous est connue que par Eusèbe. Sur le Traité de la vie contemplative, voir ci-dessous, ch. III.