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historiques[1] ont de l’éloquence. Composées pour les païens, elles visent surtout à montrer aux non Juifs combien de préceptes juifs ils pourraient pratiquer avec avantage[2]. Touchante est la pensée des deux traités parallèles : « Que tout être vil est esclave ». « Que tout honnête homme est libre[3]. » Le nombre des Juifs devenus esclaves par suite des guerres du temps était énorme. Philon les console au nom de l’idéalisme transcendant, consolation que ceux-là seuls trouveront vaine qui n’ont jamais souffert injustement.

La fortune littéraire de Philon fut des plus singulières. L’école juive d’Alexandrie disparut au ier siècle de notre ère, et on ne voit pas quels élèves eut Philon dans sa patrie. Il n’exerça non plus aucune action sur le judaïsme palestinien parlant hébreu : son nom n’est pas prononcé une seule fois dans le Talmud ni dans la tradition juive. Jésus sans doute ne le connut pas. Mais la seconde et la troisième génération chrétienne le lurent beaucoup. Son influence, ou du moins l’influence d’idées analogues aux siennes, est sensible dans les épitres authentiques de saint Paul, dans l’épître d’un caractère indécis dite Épître aux Éphésiens, et surtout dans les écrits qu’une certaine école attribua à l’apôtre Jean.

Depuis lors, Philon fut fort en faveur dans l’école chrétienne : on le copia comme un Père de l’Église ; on soutint même qu’il avait été chrétien. Le modèle de l’homélie à la façon des Pères, prenant pour texte un passage de l’Écriture et partant de là pour les développements moraux, remonte à Philon. La théologie chrétienne, héritière et continuatrice de la théologie helléniste. lui dut beaucoup de choses, en particulier son goût désordonné pour l’allégorie. Le gnosticisme sortit en partie de Philon ou du moins développa des idées du même genre que les siennes. On peut dire que Philon, par sa théorie des forces ou puissances (dynamis) et par son amour effréné pour les hypostases, fut le père de Valentin. Les néopla-

  1. L’ouvrage de Philon sur l’état des Juifs sous Tibère, Caligula et Claude et sur la part qu’il prit à ces événements formait 5 livres dont le 3e (In Flacc.) et le 4e (Leg. ad Caium) ont seuls été conservés. Voir les Apôtres, p. 194-197.
  2. C’était le sujet des l’ofetiz.
  3. Le premier de ces deux traités est perdu. Philon eut aussi l’intention d’écrire un traité sur la « souveraineté du Sage » (Quod omnis probus liber. § 3).