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Moïse et de Marie. Les chants se continuent en versets alternatifs. Les voix graves des hommes se mêlant aux voix aiguës des femmes, produisent une symphonie harmonique et un effet tout à fait musical. Les pensées sont belles, les paroles aussi ; les danses sont très graves. Le but des pensées, des paroles et des danses, c’est la piété.

Ils se plongent jusqu’au matin dans cette belle ivresse, qui, loin d’alourdir leur tête, d’appesantir leurs paupières, les rend lestes et alertes. Quand ils aperçoivent les premiers rayons du soleil, ils lèvent les mains au ciel et demandent à Dieu un jour heureux, la connaissance de la vérité et la lucidité de l’intelligence. Après celle prière, chacun gagne son semnée, pour y reprendre la culture de la philosophie.

Tout cela doit-il être pris bien au sérieux ? Philon, dans ces pages singulières, décrit-il un idéal ou une réalité ? Ces thérapeutes du lac Mariout, dont il est le seul à parler, ont-ils réellement existé, ou n’est-ce pas là une Salente idéale, la peinture d’un paradis destinée à édifier et à charmer ? Il est fort difficile de répondre d’une manière absolue. Le fond du roman thérapeute est emprunté à l’essénisme, mais avec d’importantes corrections. Peut-être quelques ascètes que Philon vit près du lac Mariout[1] tournèrent-ils ses idées de ce côté. Ce qu’il avait lu des instituts pythagoriques et de la vie stoïcienne flottait peut-être aussi dans son imagination. L’ensemble est une création libre et voulue. C’est l’idéal de la vie parfaite et du parfait bonheur comme le conçoit Philon. La vie du thérapeute est la vie de Philon lui-même, une vie où l’homme fait triompher en lui l’esprit sur les sens, ne s’occupe que de l’âme et devient, par la simplification de tout ce qui touche au corps, citoyen du ciel et du monde. Une telle vie, dans le langage philonien, se résume en « la philosophie », la philosophie, qui, pour un Juif, est surtout la méditation et l’explication allégorique des anciens livres. L’œuvre entière de Philon, c’est l’œuvre d’un parfait thérapeute ; Philon ne vécut pas sur le bord du lac Mariout ; il n’habita pas une petite maison avec un semnée : mais sa vie fut bien consacrée à la recherche de la vérité : sans se séparer du judaïsme officiel, il se créa une

  1. Comparez les catochites ou reclus du Sérapéum. Orig. du christ., II, 79, 325 ; VI, 188, note 2.