Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/391

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
385
LE FEU

biles : la cécité les avait repris. Tout son visage se fit de marbre.

Instinctivement, l’animateur lui laissa les mains libres ; et elles firent le geste de tâter l’or sépulcral.

Elle dit, d’une voix qui créa la forme tangible :

— Comme elle est grande, sa bouche !

Il palpita d’une anxiété semblable à la frayeur.

— Tu la vois donc ?

Elle restait les yeux fixes et sans regard.

— Moi aussi, je la vois. Elle est grande. Le travail horrible de la divination l’avait dilatée. Elle criait, implorait, se lamentait sans trêve. Imagines-tu sa bouche dans le silence ?

Toujours dans la même attitude, comme en extase, elle dit lentement :

— Quelle stupeur, quand elle se tait !

Il semblait qu’elle répétât des paroles suggérées par un génie mystérieux, tandis qu’il semblait au poète, en les entendant, que lui-même était sur le point de les proférer. Un tremblement profond l’agitait, comme en présence d’un prodige.

— Et ses yeux ? — demanda-t-il, tremblant. — De quelle couleur crois-tu qu’étaient ses yeux ?

Elle ne répondit pas. Les lignes marmoréennes de son visage s’altérèrent comme s’il y passait une onde légère de souffrance. Un sillon se creusa entre ses sourcils.

— Noirs, peut-être ? ajouta-t-il tout bas.

Elle parla.

— Non, ils n’étaient pas noirs, mais ils le paraissaient : car, dans l’ardeur fatidique, les pupilles étaient si dilatées qu’elles dévoraient les iris…

Elle s’arrêta, comme si tout à coup le souffle lui eût manqué. Un voile de sueur se répandait sur son front. Stelio la regardait, ne disant plus rien, très pâle ; et la pause était remplie par les grandes palpitations de son cœur agité.

— Dans les intervalles, — continua la révélatrice avec une lenteur pénible, — quand elle essuyait l’écume de ses lèvres livides, ses yeux étaient doux et tristes comme deux violettes.

De nouveau elle s’arrêta, oppressée, avec l’aspect d’une