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LE FEU

Avant de rabattre le couvercle, ils hésitèrent, fascinés par le sourire infini. Stelio Effrena, qui venait d’entendre un léger frôlement, leva les yeux : il vit la face de neige inclinée sur le cadavre, surhumaine apparition de l’amour et de la douleur. L’instant fut égal à l’éternité. La femme disparut.

Quand le couvercle fut abaissé, ils soulevèrent de nouveau le fardeau, plus lourd. Ils le transportèrent hors de la salle, puis le descendirent par l’escalier, lentement. Ravis d’une sublime angoisse, ils voyaient dans le métal du cercueil se refléter leurs visages fraternels.

La barque funèbre attendait devant la porte. Sur le cercueil fut étendu le drap mortuaire. Les six compagnons attendirent, tête découverte, que la famille descendît.

Elle descendit, toute ensemble. La veuve passa, voilée ; mais la splendeur de son visage était dans la mémoire des témoins, pour toujours.

Le convoi fut bref. La barque funèbre allait en avant ; derrière venait la veuve, avec les siens ; puis venait le groupe juvénile. Sur le grand chemin d’eau et de pierre, le ciel était encombré de nuages. Le profond silence était digne de Celui qui, pour la religion des hommes, avait transformé en chant infini les forces de l’Univers.

Un vol de colombes, parti des marbres des Scalzi avec un frémissement d’éclair, passa par-dessus le cercueil à travers le canal, et enguirlanda la coupole verte de San-Simeone.

Sur la rive, quelques fidèles attendaient, taciturnes. Les larges couronnes embaumaient l’air cendré. On entendait clapoter l’eau sous la courbe des proues.

Les six compagnons enlevèrent de la barque le cercueil et le portèrent sur leurs épaules dans le char préparé sur la voie ferrée. Les fidèles s’approchèrent et déposèrent leurs couronnes sur le drap mortuaire. Nul ne parlait.

Alors s’avancèrent les deux artisans, avec leurs faisceaux de lauriers cueillis sur le Janicule.

Membrus et puissants, choisis entre les plus beaux et les plus forts, ils semblaient coulés dans le moule antique de la race romaine. Ils étaient graves et tranquilles, avec la sauvage liberté de l’Agro dans leurs yeux veinés de sang. Leurs traits accentués, leur front bas, leur chevelure courte et crépue,