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LETTRES DE SAINTE-BEUVE

coïncider minutieusement les bords des carreaux avec les bords des draperies, de sorte qu’on ne se doute plus de rien ! C’est sur des vitraux qu’on peint et non sur une toile. N’est-ce pas vrai ?

À quelques milles de Salisbury, dans les plaines de ce nom, se trouvent des pierres immenses (analogues à celles de Carnac et de la même origine) formant deux ou trois cercles concentriques ; au centre sont d’autres pierres aussi immenses, qui paraissaient constituer un autel. C’est ce qu’on appelle Stone-henge. J’ai vu ce monument ; ce sont des débris de temple, suivant toute apparence. Mais d’où ces pierres ont-elles été apportées et par qui ? Il ne paraît pas qu’il y ait dans le pays une carrière de la même espèce, et d’ailleurs ce serait fort loin pour le transport. La mer est à quelques lieues ; et il est encore plus à croire que c’est par mer que sont arrivés les architectes et peut-être les pierres. Il y a là matière à bien des questions ; une opinion assez répandue attribue cette construction aux Phéniciens ; ce qui m’a semblé confirmer vos idées sur Carnac. Voilà encore des choses que nous autres peuples civilisés avec notre mécanique analytique ne ferions pas, et qu’ont fait en d’autres temps des Barbares.

Je suis à Londres dans ce moment, mais j’y suis seul et dans une mauvaise saison, car tout y est fermé. Drury-Lane et Covent-garden ne donnent pas. Il n’y a que le théâtre d’été de Hay-Market. Le Museum britannique est aussi fermé, mais j’attends ces jours-ci une permission particulière ; après quoi je quitterai Londres et, après huit jours encore de séjour près d’Oxford, je reviendrai vous voir.

Si vous êtes assez bon pour m’écrire aussitôt la présente reçue, je serai

M. Sainte-Beuve
Tubney lodge
Near Oxford

encore en Angleterre pour recevoir votre réponse, ce qui me donnera du courage et un viatique pour le retour. Soyez assez bon pour me marquer l’adresse de M. Leprévôt ; en cas que je m’arrête à Rouen, je l’irai voir.