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LA REVUE DE PARIS

constate les dates, les caractères des différents temps, et rattache cela à l’histoire politique et religieuse ; il nous a dit sur l’architecture dite romane et gothique des choses curieuses et neuves et qui ont l’air vrai. Les bords du Rhin nous ont ravis, et la cathédrale de Cologne, où nous venons d’entendre un Requiem de Mozart pour le lundi de la Toussaint, est pleine d’admirables parties ; ses vitraux surtout sont incomparables et Robelin pense qu’il n’y a rien en France de pareil. Il y a, d’un vieux maître allemand, un tableau de l’adoration des Rois qui est une merveille de naïveté et de sainteté sublime, du commencement du XVe siècle l’auteur est, je crois, un Philippe Calf. Après cela, faut-il vous dire toute mon impression à moi personnellement, mon cher Victor ? En présence de ces belles choses, je suis moins ému que je ne l’ai été maintes fois de leur idée. En les voyant, je me dis : Que voulais-je de plus ? N’est-ce pas ce que je rêvais ? Ces bords du Rhin, ces gorges où il passe si étroit et si rapide, ces nids crénelés sur les hauteurs, ces vignes sur des coteaux à pic, que puis-je exiger de plus ? et de même pour les cathédrales, pour la silhouette de Cologne avec ses flèches, de même pour tout jusqu’à présent. Ce que je gagnerai surtout à ce voyage, c’est d’emporter des choses une idée vraie, et de ne pas pousser à bout et étager en Babel ma fantaisie. Si je voyais l’Espagne, elle me ferait moins d’effet que vos vers d’Estramadure et de Catalogne ; il y a dans la réalité toujours quelque côté faible par où l’impression s’étale, fuse et fuit. C’est au cœur du poète qu’il faut voir le monde concentré, éblouissant et complet ; c’est à votre cœur que je suis accoutumé à le voir et que je veux revenir le contempler.

Que dites-vous ? J’ai vu qu’Othello a eu du succès, moyennant quelques sacrifices à la deuxième représentation ; tant mieux pour le public et pour l’art. Je m’ennuie bien de vous, je n’ai pas eu de vos lettres et j’en espère une à Reims, mais je sais que vous pensez à moi et que vous m’aimez et cela me suffit sans que vous vous gêniez à écrire. Faites des œuvres. Voilà votre vie. Et madame Hugo parle-t-elle quelquefois de nous ? a-t-elle la bonté de nous désirer ? Nous parlons bien souvent d’elle, et elle est avec vous au fond de