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72 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

n’est pas fait d’une matière quelconque dont il aurait sacrifié quelques parcelles pour en former ses créatures, ou que, par une opération plus difficile à imaginer mais non à comprendre, il aurait aliénée et conservée tout à la fois. Prises au propre, c’est-à-dire au sens physique,’ les deux. expressions sont donc également absurdes. Convenablement entendues, l’une et l’autre, au contraire, nous semblent également acceptables. L’une et l’autre veulent dire que Dieu confère aux créatures leur être tout entier, matière et forme, et que cet être tout d’emprunt ne cesse d’appartenir en propre it celui de qui elles le tiennent. L’une insiste plus particulièrement sur le néant foncier de la créature, l’autre sur sa relation essentielle au créateur. Voilà toute la différence. Après tout, si Dieu est esprit, l’image la moins imparfaite que nous puissions nous former de la création est le rapport de notre moi à chacune de nos pensées. Or on peut dire que nous les créons de rien en ce sens qu’elles ne sont rien avant que nous les pensions. On peut dire aussi légitimement que nous les tirons de nous-mêmes et qu’elles ont en nous leur subsistance.

Dira-t-on que le panthéisme consiste à nier la liberté divine ? Soit ; mais encore faut-il définir exactement ce terme. Si par liberté on entend l’arbitraire, un vouloir indifférent au Bien, une puissance supérieure à la raison même, on ne trouvera en effet rien de tel chez Hegel. Pour lui Dieu n’est que la raison absolue, et souveraine. Un pouvoir supérieur à la raison est un pur non-sens. La volonté divine n’est pas quelque chose de distinct de la raison divine, elle est cette raison elle-même considérée plus spécialement comme activité créatrice. Si donc le panthéisme consiste à proclamer la souveraineté de la raison, Hegel est panthéiste avec saint Thomas et Leibniz. Mais si Ion donne au mot liberté son véritable sens, qui est détermination par soi, on peut dire que le système de Hegel est par excellence la philosophie de la liberté. Spinoza attribue expressément à Dieu la liberté qu’il refuse aux créatures, mais il entend cette liberté d’une manière toute négative. Dire que Dieu se détermine lui-même revient pour lui à dire qu’il n’est déterminé par aucune autre chose. La vérité est que le Dieu de Spinoza se trouve déterminé on ne sait comment. Il ne l’est par rien d’extérieur, puisque, par hypothèse, rien n’existe hors de lui ; mais en quel sens peut-on prétendre qu’il le soit par lui-même ? Ni les attributs ni les modes ne sont déduits de la substance, entre elle et ses déterminations on n’aperçoit aucun lien