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G. MILHAUD. UNE CONDITION DU PROGRÈS SCIENTIFIQUE. 431 Rev. Meta. T. V. – 1897. 28

général. Après eux, ce n’est plus une théorie spéculative que l’on veut élaborer, à propos du problème moral on se demande quelles sont les conditions pratiques où se réalisera le souverain bien. Que par là la philosophie grecque et plus tard la philosophie grécoromaine ait pris une attitude peu compatible avec la spéculation vraiment désintéressée ; qu’elle ait exercé chez les penseurs un rôle nettement anti-scientifique, c’est ce que je n’ai pas besoin de montrer après les belles études de M. Havet. Je renvoie aux « Origines du christianisme (tomes 1 et II) ceux qui conserveraient quelque doute à cet égard, ou quelque illusion sur le caractère véritablement scientifique d’un Lucrèce ou d’un Sénèque, par exemple. Nous en avons dit assez pour pouvoir conclure que si la science antique est morte, c’est que la pensée désintéressée est morte elle-même. Il est d’ailleurs une manifestation de l’activité intellectuelle dont l’éclat variable peut servir de mesure, de l’aveu de tous, au degré d’application désintéressée dont semble capable l’esprit humain c’est l’art, sous toutes ses formes. Or l’art antique est mort aussi. On sait suffisamment à quelle date il renaîtra avec la plus vivante intensité n’est-ce pas à ce moment aussi que renaîtra la science ? -Bref, n’avons-nous pas décidément le droit de formuler cette loi que la science progresse en raison du désintéressement avec lequel elle est cultivée ? °

` Voilà bien du mal, dira-t-on peut-être, pour démontrer ce qui n’est qu’une banale et trop évidente vérité ! Les hommes cultivent ` la science quand ils sont capables de l’aimer, et quand aucune préoccupation pratique ne vient les en détourner. – Mais qu’on n’oublie pas que la science est à deux faces. Si d’une part elle est, par essence, théorique et spéculative, de l’autre elle vise à l’application. De nos jours, MM. Hermite, Darboux, Poincaré sont des savants, mais MM. Eiffel ou Edison en sont aussi. Parlez à quelqu’un de la science du xix° siècle et de ses progrès il pourra peut-être, suivant l’éducation qu’il aura reçue, songer à la Théorie générale des fonctions, ou à celle des Surfaces ; mais n’y a-t-il pas beaucoup à parier qu’il songera plutôt aux chemins de fer, aux télégraphes, aux téléphones, ` à la science des ingénieurs ? La .spéculation et l’application sont inséparables, et les Grecs n’avaient pas fait exception à cet égard la mathématique naissante ne s’appliquait-elle pas de bonne heure Rev. MÉTA. T. V. 1897. 28