Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/163

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LA SCIENCE ET LE REALISME NAIF


Les termes «données positives», «science positive» qui sont devenus courants, renferment, semble-t-il, une pétition de principe. En effet le terme positif, selon la définition d’Auguste Comte et l’usage constant qu’il en a fait et dont ses sectateurs ne se sont pas sensiblement écartés depuis, revêt cette signification précise: «dont toute métaphysique est exclue». Ainsi, on suppose qu’il est possible de recueillir des données scientifiques qui ne soient pas «entachées» d’ontologie, de spéculations sur la nature de la chose en soi et l’on semble même affirmer que la science, telle que nous la connaissons, est conforme à ce schéma. Nous croyons au contraire qu’il est possible de montrer que ni la science actuelle, ni aucun système de savoir que l’humanité ait réellement connu n’y correspondent de près ni de loin.

En ouvrant les yeux le matin, en étendant la main hors de mon lit, je perçois toute une série d’objets qui constituent le monde matériel. On ne saurait douter que cette opération n’apparaisse à mon sens intime uniquement comme une action des objets, mon rôle à moi étant purement passif. Il est également certain que cette perception, cette constitution du monde matériel est un fait tout à fait général, elle s’opère d’une manière à peu près semblable chez tous les êtres humains, du moins en tant qu’ils sont doués de sens et d’un intellect fonctionnant normalement.

Elle s’opère irrésistiblement, nous sommes tout à fait impuissants à l’empêcher ; on a beau nourrir les convictions métaphysiques les plus idéalistes, on voit la matière et on la touche. Il n’empêche que ce n’est là qu’une apparence; il est aisé d’établir que l’acte de la perception est loin d’être simple et que l’intellect y joue un rôle fort actif; la vision notamment contient, comme l’ont établi Berkeley et Helmholtz, toute une série de jugements condensés assez malaisés à suivre. Mais ce n’est qu’à grand peine que nous dépouillons nos actes de perception de ce qu’y apportent la mémoire et le raisonnement inconscients, pour