Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 1, 1912.djvu/10

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clairement la véritable intention, car il semble que les problèmes se soient déplacés et que de nouvelles perspectives se lèvent vers lesquelles maintenant se dirigent tous les regards.

Dans la première partie de cet opuscule, l’auteur nous montre l’état d’esprit dans lequel collaboraient, quelques années avant la chute du second Empire, les rédacteurs de la revue La Morale Indépendante, qu’il avait fondée avec un ancien saint-simonien, Massol, et où se trouvaient réunis les noms de Vacherot, Barni, Challemel-Lacour, Henri Brisson, Jean Reynaud, Frédéric Morin, etc. La Morale Indépendante se réclamait de Kant et s’efforçait de continuer son œuvre en éthique. Son mot d’ordre était : spiritualisme et liberté, son programme : résistance au positivisme et aux doctrines déterministes. Cette revue cessa de paraître après la guerre ; mais la tendance qu’elle exprimait ne s’est pas éteinte avec elle. Dans la critique de Boutroux, dans le pragmatisme de Poincaré, comme dans la théologie d’Auguste Sabatier, Mme  Coignet voit une continuation de la philosophie kantienne et une réaction victorieuse contre le culte aveugle de la science. Finalement le spiritualisme triomphe avec Bergson. Avec Bergson les problèmes sont renouvelés, des formules originales et profondes sont posées, les droits de la science sont formellement reconnus, mais son domaine, pour vaste qu’il soit, est définitivement délimité au regard de la philosophie. Mme  Coignet expose consciencieusement, quoique sommairement, la doctrine de Bergson, et elle termine par un appel aux conclusions morales et religieuses qu’elle croit pouvoir pressentir dans cette philosophie, vers laquelle se tournent aujourd’hui « tous ceux qui, en dehors des luttes sectaires de la négation, en dehors aussi des gouvernements et des divisions d’église, gardent dans les profondeurs de l’âme la subjectivité religieuse ». À cette conclusion nous n’ajouterons qu’un mot, c’est qu’il est peut-être téméraire d’anticiper ainsi sur l’avenir d’une pensée qui n’a point dit son dernier mot, et qu’au surplus il n’est nullement certain que la « subjectivité religieuse » ait trouvé dans Bergson son suprême appui : car le côté religieux de l’esprit humain déborde infiniment toute philosophie individuelle, quelque puissante qu’en soit l’inspiration. Notons en outre un rapprochement contestable entre les idées de Poincaré et le spiritualisme philosophique. La critique de Poincaré a quelque chose de corrosif qui détruit les illusions généreuses des « conciliateurs ». Elle, détruit mais ne remplace pas. Poincaré serait aussi sévère pour les métaphysiciens avançant des preuves logiques de la liberté que pour ceux qui la nient en vertu de généralisations illégitimes du mécanisme physique.

Die moderne Weltanschauung, par Carl Becker. 1 vol. in-8 de 140 p., Berlin, Steinitz, 1911. – L’ouvrage de M. Becker ne prétend sans doute être qu’une de ces « Populär-darstellungen » qui tiennent une si grande place dans la littérature philosophique allemande. Mais même si on ne prête pas à l’auteur de plus hautes ambitions, il est permis de regretter la confusion et l’indétermination de sa pensée. Hœckel semble être le maître de M. Becker ; mais celui-ci prétend s’inspirer aussi de Herder, de Goethe, de Nietzsche, et aboutit ainsi à un panthéisme mystico-matérialiste dont l’insignifiance n’est guère masquée par le lyrisme un peu facile où l’auteur semble se complaire.

Die soziologischen Theorien, par le Dr  Fausto Squillace (trad. all. du Dr  Rudolf Eisler). 1 vol. petit in-8 de 352 p., Leipzig, W. Klinkhardt. — Ce livre ne peut être équitablement jugé que du point de vue où son auteur s’est placé pour le composer. M. Squillace s’est proposé de faire connaître au public, et notamment aux étudiants, les directions et les théories nouvelles de la science sociologique, et cela par l’analyse critique des écrits principaux des sociologues français, italiens, anglais et allemands. L’érudition imposante de l’auteur se manifeste par la richesse de ces analyses et l’abondance extraordinaire des indications bibliographiques : par là l’ouvrage est vraiment ce que M. Squillace a voulu qu’il fût, un précieux instrument de travail, un Hand-und Nachschlagebuch de première utilité. Naturellement il a aussi les défauts de ses qualités : il est un peu encombré, il manque d’air et de perspective ; des œuvres durables et des œuvres sans grande importance y sont mises sur le même plan, des idées fécondes et nouvelles sont confondues dans la masse de vieilles idées démodées. M. Squillace a pourtant fait un sérieux et heureux effort pour mettre de l’ordre dans cette matière chaotique. Sa classification vraiment ingénieuse des théories sociologiques est fondée sur la science qui sert de fondement principal à la sociologie d’après chaque théorie. On pourra ainsi distinguer : 1° les sociologies fondées sur les sciences physiques et naturelles : mécanique (Spencer, Carey, Winiarski, Pareto, etc.), anthrolologie (Gobineau, Bagehot, Gumplowicz, Ammon,