Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 1, 1912.djvu/3

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de Rauh, ni notre gratitude pour les éditeurs.

Le Mythe Vertuiste et la Littérature Immorale, par Vilfredo Pareto. 1 vol. in-16 de 186 p., Paris, Rivière, 1911. — Voici, semble-t-il, comment on peut résumer ce livre passionné et confus. Nous vivons, suivant Pareto, à une époque étrange. D’une part, discrédit de toutes les notions morales fondamentales ; dissolution du mariage, affaiblissement du sentiment patriotique, destruction de tous les rapports de subordination qui devraient exister dans la famille, dans l’armée, dans l’atelier. D’autre part, et sur un seul point, rigorisme croissant, à la fois intolérable et dépourvu d’efficacité : Ceux que M. Pareto appelle les dominicains de la vertu, ou les vertuistes, visent à armer l’État de pouvoirs inquisitoriaux pour la répression de la littérature immorale, pour l’interdiction des publications obscènes et des reproductions du nu. Cette tyrannie est inadmissible, déclare, pour commencer, M. Pareto, économiste libéral. Les seules interventions permises de l’État central sont celles qui ont pour but « de maintenir la paix parmi ses ressortissants, d’empêcher les voies de fait, et même les simples troubles » ; il n’a pas le droit de s’occuper « de la nature des écrits », « d’établir une doctrine orthodoxe ». Et M. Pareto, pour embarrasser les vertuistes, dresse, avec un plaisir trop évident, le catalogue des passages obscènes qui se rencontrent chez les plus grands classiques des temps anciens et modernes : faudra-t-il en interdire la lecture ? Cette tyrannie, déclare M. Pareto en finissant, est condamnée à demeurer impuissante : on ne saurait isoler, parmi tous les actes qui intéressent la morale publique, ceux qui concernent les manifestations de l’instinct sexuel, pour en faire l’objet d’une législation spéciale. Pour régénérer un peuple, une race, il faut une conception morale d’ensemble, un « mythe » social, philosophique, religieux, pour reprendre l’expression de M. Sorel. « Calvin et ses disciples étaient des vertuistes de la plus belle eau, et des persécuteurs qui ne le cédaient en rien aux pires inquisiteurs catholiques. S’ils n’avaient été que cela, ils seraient ridicules et méprisables ; mais ils sont grands et admirables, parce qu’ils étaient animés de sentiments actifs, profonds, et par là utiles à leur cité. Grâce à ces sentiments, le minuscule territoire de Genève occupe une place importante dans l’histoire, et la mémoire de ce petit peuple a traversé et traversera encore de longs siècles… Il est absurde de croire qu’un peuple qui emprunterait seulement le vertuisme au calvinisme, sans lui prendre aussi l’âpre profondeur des sentiments, deviendrait par cela seul grand et célèbre. Il ne serait que ridicule » (p. 179-180).

L’ouvrage embarrasse par son incohérence. L’auteur est un libéral réactionnaire, dont on ne sait pas au juste ce qui l’indigne le plus dans la société moderne. Est-ce l’abus croissant de la réglementation ? Est-ce l’insubordination croissante des individus ? Il faudrait cependant choisir. L’incohérence a des sources plus profondes encore. M. Pareto essaie visiblement de rajeunir ses vieux préjugés d’économiste orthodoxe par une infusion de théories beaucoup plus nouvelles. Or il paraît impossible de marier sans violence les idées de M. Yves Guyot avec celles de M. Georges Sorel.

Positivisme et Catholicisme, à propos de « L’Action française », par L. Laberthonnière. 1 vol. in-16 de 430 p., Paris, Bloud, 1911. — Cette vigoureuse polémique contre L’Action française et contre ses alliés proprement catholiques est une protestation qui fait honneur au catholicisme français. Le « positivisme » auquel s’attaque M. Laberthonnière n’a toutefois que des rapports assez lointains avec la doctrine de Comte. Ce n’est pas la réfutation d’une grande philosophie qu’il entreprend dans ces pages, c’est une mise au point nécessaire touchant les théoriciens du parti royaliste. L’auteur montre nettement quelle est la position actuelle des maîtres de L’Action française vis-à-vis du catholicisme. Les précisions qu’il donne intéresseront tous ceux qui, sans avoir suivi ces divagations dans le détail, se fiant à une réputation qu’aucune voix autorisée n’avait jusqu’ici démentie, considéraient Ch. Maurras et ses disciples comme d’éloquents protagonistes de la restauration romaine en France, approuvés, sinon même encouragés par les hautes puissances de l’Église. Dans ces théories politico-sociales, M. Laberthonnière met à nu les extravagances d’un aristocratisme nietzschéen, et fait voir jusqu’où peuvent aller les rêveries d’un dilettantisme franchement païen. D’esprit religieux nulle trace, de morale pas un souffle. C’est la négation de toute foi, l’insulte à tout idéal moral, affirmées et prodiguées à l’appui de la doctrine monarchiste. C’est un fait remarquable et aussi un symptôme attristant que l’irréligion aussi cyniquement affichée n’ait rencontré qu’indulgence dans les milieux catholiques de notre pays. M. Laberthonnière a le courage de dénoncer cette alliance équivoque. Il faut l’en féliciter,