Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 5, 1907.djvu/18

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pour juger les contemporains, « des éclaircissements psychologiques ou biographiques » nécessaires. En troisième lieu, nous manquons du recul nécessaire pour apprécier, avec l’objectivité qu’il faudrait, les travaux des philosophes vivants. Ajoutons une quatrième raison, propre à justifier la circonspection de M. Höffding ; et cette raison, c’est que le présent fuit sans cesse sous nos pas. À l’heure où paraît cette traduction, l’ouvrage de M. Höffding date déjà. Nous n’y trouvons mentionnés ni M. Poincaré (qui aurait aujourd’hui sa place marquée dans la section des « savants philosophes »), ni M. Bergson, qui a synthétisé en une vaste philosophie de la nature ce que M. Höffding appelle « le courant biologique » de la pensée contemporaine, ni M. B. Russell, dont les recherches de logique pure sont peut-être (nous serions portés à dire : probablement) de nature à rénover le rationalisme idéaliste.

Ne discutons donc pas La classification des philosophes contemporains adoptée par M. Höffding. Lui-même ne la considère sans doute que comme un procédé commode pour la division des matières, et ne prétend pas qu’elle soit fondée sur un principe systématique rigoureux. Il étudie d’abord « le courant objectivo-systématique » : il traite, en d’autres termes, sous cette rubrique, des penseurs qui posent le problème de l’existence, et cherchent à constituer un système de l’univers. Tels Wundt, Ardigò, Bradley (le philosophe d’Oxford, en qui M. Höffding ne sembla pas éloigné de voir le plus profond des métaphysiciens contemporains), Fouillée. Le chapitre sur Fouillée est précédé de chapitres intéressants sur Taine et Renan, et suivi de deux autres chapitres sur la philosophie de la discontinuité », étudiée d’abord chez Renouvier, ensuite chez M. Boutrous. L’ensemble constitue un tableau très clair de l’histoire de la philosophie en France pendant la seconde moitié du XIXe siècle (regrettons seulement que Ravaisson et Lachelier n’y soient pas nommés). M. Höffding étudie ensuite le « courant biologique », et les nouvelles formes de la théorie de la connaissance, la vie intellectuelle étant considérée comme une forme particulière du phénomène général de la vie, et les règles de la logique comme des procèdes spéciaux d’adaptation au milieu (Maxwell, Hertz, Mach ; – Avenarius). – Enfin la « philosophie des valeurs » se désintéresse du problème de l’existence, et considère que le vrai problème philosophique, c’est le problème moral et religieux (Guyau et Nietzsche : M. Höffding, après M. Fouillée, relève les analogies des deux doctrines, et aussi des deux tempéraments. Eucken l’analyse de sa doctrine « noologique », ou « métapsychologique » sera instructive pour le public français, enfin William James). La sobriété et la précision sont les qualités caractéristiques de ces analyses ; de temps à autre, l’historien intervient par de brèves et judicieuses critiques. La traduction est bonne, quoiqu’elle renferme de trop nombreux germanismes.

Grammaire de l’assentiment, par le cardinal {{sc|Newman, traduit de l’anglais par Mme Gaston Paris. 4 vol. in-8 de 408 p., Paris, Bloud et Cie, 1907. Mme Gaston Paris nous donne une traduction fort soignée du livre célèbre de Newman. On lui saura gré de faire connaître au public français le livre d’apologétique le plus original que le catholicisme ait produit depuis longtemps. Newman ne croit guère à la vertu des démonstrations logiques en matière de foi. On peut prouver la vérité de la Religion, mais cette preuve demeure sans effet sur un incrédule, car on ne peut convertir un homme l’aide de principes qu’il refuse d’accorder (p. 327). En réalité, la foi n’est pas un acte d’entendement, mais une habitude. Les preuves logiques ne sont valables que pour ceux qui se sont, d’avance, mis dans un état d’esprit approprié. Il faut affirmer la présence de Dieu dans la conscience, la réalité ; du péché, l’importance sacrée de l’âme et du monde invisible, il faut désirer la connaissance de Dieu, espérer le pardon, chercher partout les signes de la bonté divine.

Ce « désir du divin » n’est pas déterminé exclusivement par des opérations logiques. Cependant les affirmations qu’il implique ne sont pas arbitraires. Newman prétend les justifier par l’examen des faits. L’existence de la conscience, du sens, moral, l’universelle présence de rites religieux même païens, le respect qui entoure les hommes élus de Dieu, sont autant de faits dont la méditation attentive prépare l’assentiment et la croyance. Cette théorie, qui rejoint la doctrine idéologique de la grâce, est préparée, dans l’ouvrage de Newman, par tout un système de logique. Cette logique est remarquable en ce qu’elle met une singulière subtilité dialectique à nier toute dialectique et toute logique. En fin de compte Newman se fie à ce qu’il nomme le sens des inférences (illative sense), sorte de faculté intuitive, qui juge souverainement, à l’exclusion des pro-