Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1907.djvu/10

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La perte du « sens de l’engagement » et du sens de la domination des fantaisies passionnelles ne serait-elle pas accrue par une loi qui irait en quelque sorte au-devant de certains courants jugés par elle insurmontables ? Tout en se défaisant des formalismes inutiles, n’a-t-elle pas encore d’autres courants où puiser pour maintenir au moins l’idée de la gravité qu’il y a à rompre certains engagements, lors même qu’on serait prêt à en porter toute la responsabilité civile, c’est-à-dire en somme tout simplement à solder les indemnités nécessaires ? M. Détrez lui-même semble l’avouer lorsqu’il reconnaît la force encore grande à l’heure actuelle du contrôle social (mais il semble vouloir n’en apercevoir que le côté mondain ou financier) et lorsqu’il reconnaît que le mariage, après tout, a subi des crises plus graves (p. 279). Il nous met donc lui-même en doute sur la valeur de ses conclusions. En tout cas, ce n’est pas par un simple rappel de l’impuissance de la législation impériale à Rome, par une histoire sommaire de la législation française et par une peinture des mœurs, si brillante et si émaillée de pittoresques citations soit-elle (M. Détrez se montre ici, pour le plus grand agrément du lecteur, bon disciple de son maître Tarde), que la question semble devoir être résolue.

Des preuves de la filiation naturelle non reconnue. Étude de critique et de législation comparée, par Louis Crémieu, avocat, 1 vol. in-8 de xvi-556 p., Paris, Larose, 1907. — Étude consciencieuse et documentée que liront avec profit tous ceux que préoccupent les difficultés de la réalisation juridique de la recherche de la paternité. Dans une première partie, historique, l’auteur met en lumière la loi souvent formulée d’un rapport inversement proportionnel entre les droits attachés à la qualité d’enfant naturel, et les moyens de preuve conférés par la loi ou par la coutume à l’enfant pour établir sa filiation. Cette loi, vérifiée d’ailleurs en général, ne comporte-t-elle pas au moins une exception : la situation de l’enfant naturel à Rome, à l’égard de sa mère (cf. p. 24) ? — Une deuxième partie est consacrée à l’exposé du système du Code civil. L’auteur qui cherche ici à définir l’attitude prise par les jurisconsultes de 1804, et non l’usage que dans la pratique on pourrait faire aujourd’hui des textes, rejette avec raison la « méthode évolutive » et s’attache à une interprétation très stricte de la volonté du législateur : peut-être même lui prête-t-il, par endroits, quelques petites rigueurs dont il n’est pas bien certain qu’il se soit rendu coupable (cf. p. 104, 123 et contra Planiol, Traité élémentaire, 3e éd., I, 1510 et 1513). — La troisième partie est consacrée à la critique du système du Code. Bien que l’auteur y fasse un peu flèche de tout bois (cf. les étranges inductions qu’il tire parfois des statistiques, pp. 221-222, et son tableau, fort discutable et légèrement suranné de l’union libre, conçue comme simple dévergondage, (p. 228), on y trouve développées les raisons qui militent en faveur de l’égalité, au point de vue des preuves de la filiation, entre les enfants naturels et les enfants légitimes, et en faveur de la recherche de la paternité. Non content de se placer au point de vue de la logique et de l’équité, M. L. Crémieu, replaçant le système du Code dans le courant de l’évolution juridique contemporaine, tel qu’il se marque dans les efforts créateurs de la jurisprudence et dans les innovations de la législation française et étrangère, fait voir combien il est contraire à l’utilité sociale et aux exigences de la conscience juridique. — Enfin, dans une quatrième partie, M. L. Crémieu trace l’esquisse d’un système nouveau. C’est la reprise d’une distinction établie par M. Ambroise Colin entre les droits de parenté (aliments, éducation, entretien) issus de la filiation, et les droits de famille (succession, état civil, etc.), nés de la seule volonté des parents. La reconnaissance volontaire seule peut donner à l’enfant l’accès de la famille et permettre d’assimiler l’enfant naturel à l’enfant légitime. La reconnaissance forcée devrait toujours ne conférer que les droits de parenté. Mais alors la plus large facilité de preuves devrait être reconnue à l’enfant, sauf à garantir le père, mieux que ne le ̃̃fait le droit allemand, contre les risques du chantage ou de l’endossement d’une paternité trop problématique. Et ici on lira avec intérêt une intelligente critique des divers projets de loi français. M. L. Crémieu enfin donne d’excellentes raisons pour se séparer sur un point de M. Ambroise Colin et demander non à la hardiesse — toujours incertaine et incohérente — de la jurisprudence, mais à a l’initiative décidée du législateur, l’organisation du système nouveau. Le seul regret qu’il laisse au lecteur (mais ceci dépasse la question de preuve), c’est de restreindre vraiment trop, avec son maître, M. Ambroise Colin, l’étendue des droits de parenté et, contrairement à la plupart des Codes modernes, de ne donner, à l’enfant naturel non volontairement reconnu, aucune part, si minime soit-elle, de succession, même vis-à-vis de sa mère. Ceci sans doute paraîtra à beaucoup un recul,