Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1907.djvu/21

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Considérée comme science, la morale aborde trois problèmes : le premier, logique (définir le concept du bien), le second, psychologique (description analytique et génétique de la conscience morale), le troisième, sociologique (étude de la moralité — et non plus des mœurs — dans les diverses sociétés, lois de son évolution, question du progrès, etc).

Le problème logique, aux yeux de l’auteur, a, de nos jours, une importance particulière. Dans une introduction qui est le meilleur chapitre de son livre, M. Trivero tente de montrer que, pour sortir de la « crise morale » actuelle, état d’incohérence morale plutôt que d’immoralisme, « crise logique » autant que morale, il faut d’abord examiner avec soin le concept du bien moral. Il s’engage donc dans cette étude et étudie tour à tour la compréhension et l’extension de ce concept. Le genre prochain, le bien, c’est « ce qui atteint une fin », « ce qui satisfait un besoin ». (D’où le lien du présent livre avec une « théorie des besoins », du même auteur, que la Revue a analysée en mai 1900.) Quant à la différence spécifique, elle est plus difficile à saisir. Sans doute, il y a des besoins licites, des besoins illicites et des besoins indifférents. Mais à quel signe distinguer les uns des autres ? M. Trivero se borne à déclarer que « tout besoin sain, vrai, sérieux qui n’est en contradiction avec aucune fin bonne, dont la satisfaction ne nuit à personne, est un besoin juste et moral ». Il résulte de cette définition que toute tendance peut être moralement bonne, et que « l’extension » du concept de bien moral est pour ainsi dire indéfinie. C’est ce que l’auteur veut montrer dans la seconde partie de son livre.

Cette conclusion, vraie en un sens, n’est-elle pas la condamnation de l’entreprise de M. Trivero ? Est-il possible de séparer, comme il voudrait le faire, le « problème logique » des problèmes psychologique et sociologique ? Réservant pour l’avenir une étude de la conscience morale, l’auteur s’interdisait de définir dès maintenant avec précision les jugements moraux, de dire exactement en quoi un besoin est « sain, vrai et sérieux » ou de discuter les critères auxquels il se réfère pour les distinguer des autres.

Il suicidio nel diritto e nella vita sociale, par le Dott. Antonino Marchese de Luna. 1 vol. in-8 de 166 p., Roma, Ermanno Lœscher, 1907. — Titre prometteur. L’ouvrage tient mal la promesse. Bien que jurant d’écarter toute préconception religieuse, l’auteur s’attache surtout à montrer que le suicide, dans tous les cas sans exception, est un acte à blâmer, un acte d’égoïsme, une lâcheté, donc un délit. Une revue sommaire de l’opinion de quelques philosophes et sociologues (où d’ailleurs l’Italie est surtout représentée), un appel à quelques très générales statistiques, une indication de l’état de la législation (le tout dirigé par cette idée maîtresse que le suicide étant un délit doit être puni), suffisent à l’auteur pour aboutir à l’indication des moyens répressifs, qu’il imagine efficaces, et des moyens préventifs où il n’indique rien que de très connu, parmi les généralités.

La filosofia di Giordano Bruno, par Emm. Troïlo. 1 vol. in-16 de 160 p., Turin, Bocca, 1907. – Intéressant exposé des principes généraux de la philosophie de Bruno, mais où l’on regrette parfois que les conclusions de l’auteur soient appuyées sur des déductions a priori ou sur ses propres opinions relativement à ce qu’exige la logique d’une doctrine naturaliste, plutôt que sur le rapprochement et la critique des textes mêmes du philosophe. N’y a-t-il pas quelque arbitraire par exemple à affirmer l’attitude « anti-métaphysique » de Bruno, au nom d’une certaine définition de la métaphysique propre, à M. Troïlo, selon laquelle elle implique la croyance à un dualisme au sein des choses et à une transcendance ? On en pourrait dire autant des discussions relatives au rôle que joue chez Bruno le principe de la « coïncidence des contraires », ou à la persistance dans sa philosophie définitive des influences néo-platoniciennes, ou à la place qu’il y faut faire au Dieu transcendant, mais inconnaissable et objet de pure foi, qu’il semble maintenir hors et au-dessus de la nature infinie : tous ces problèmes d’interprétation semblent tranchés d’autorité, plutôt que résolus. Le livre n’en reste pas moins sérieux, vivant et instructif.

Giordano Bruno nella storia della Cultura, par Gentile. 1 vol. in-16 de 146 p., Milan, Sandron, 1907. — Ce petit livre attachant, plein de citations bien choisies, ne traite qu’un point spécial de la philosophie de Bruno : la conception de la religion, et son attitude à l’égard de la Réforme, à Genève et à Wittemberg, puis du Saint-Office, à Venise et à Rome. Bruno conçoit toutes les religions comme équivalentes, intéressant seulement la pratique et la vie civile, tandis que la philosophie s’adresse « non au vulgaire, mais uniquement à ceux qui savent ». Elle ne peut, pour elle, atteindre que ce Dieu qui est dans les choses, qui ne fait qu’un avec la nature dans son infinité : « Natura est Deus in rebus » ; quant au