Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1907.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre méthode que la méthode religieuse.

À l’égard des croyances religieuses, le professeur, dit enfin M. Lyon, doit se montrer respectueux. Pourquoi ? Parce que la majorité des familles attendent de lui ce respect ; parce que l’irrespect serait une violation de la neutralité ; parce qu’enfin les religions, quelle que soit leur valeur logique, ne sont pas sans utilité sociale. Ces motifs, d’ailleurs délicatement analysés, sont les seuls, semble-t-il, qu’invoque M. Lyon pour justifier ce devoir professionnel. Il ne se demande nulle part si, par la façon dont elles s’acquièrent et se justifient, les croyances pour lesquelles il réclame le respect sont respectables. Il ne dit pas que, l’enfant tenant sa foi de sa famille, on ne saurait manquer de respect à l’une sans manquer de respect à l’autre. Peut-être sera-t-on surpris de ces lacunes ; peut-être aussi se demandera-t-on si le mot « respect » est ici le mot propre : le devoir du professeur, ce n’est pas de marquer un respect positif pour les croyances de ses élèves, mais de s’abstenir de toute manifestation irrespectueuse ; c’est le devoir de neutralité s’appliquant non plus aux jugements qu’on énonce, mais aux sentiments qu’on exprime. Il serait contraire à la méthode rationnelle que doit suivre le professeur de témoigner, à propos des croyances religieuses, des sentiments dépourvus de sérénité.

La seconde partie du volume contient des études historiques qui (sauf la dernière — Le Léviathan et la Paix perpétuelle — dont nos lecteurs ont gardé le souvenir) sont consacrées à la philosophie pédagogique et religieuse de Locke. M. Lyon pense qu’il y a profit, même au xxe siècle, à relire les écrits « du plus tolérant des penseurs ». Son autorité « ne saurait vieillir ». Pourtant, il avoue ne pouvoir faire servir les doctrines de Locke à la solution des problèmes contemporains sans leur faire subir « une légère transposition ». La transposition est-elle si légère ? Elle consiste à éliminer du Christianisme raisonnable la croyance à la révélation et aux miracles ! Des Lettres sur la Tolérance les exceptions maintenues par Locke au détriment des athées et des catholiques ! Quant aux Pensées sur l’Éducation, si la pédagogie contemporaine se bornait à les commenter, elle ne mériterait pas de prendre à l’École normale et dans les lycées le rôle important que M. Lyon revendique pour elle. Mais l’intérêt de ces études sur Locke ne résidé pas dans l’ « actualité » de ses théories. M. Lyon essaie de rectifier certaines des opinions qui ont cours sur ce philosophe : il n’est pas aussi radicalement sensualiste qu’on le dit (peut-être l’est-il moins que ne le dit M. Lyon lui-même : l’esprit n’est pas pour lui un miroir purement passif) ; son système n’est pas incohérent : les Pensées sur l’Éducation ne sont pas indépendantes de l’Essai sur l’Entendement (et peut-être, ajouterons-nous, cet Essai est-il moins incohérent que ne le disait M. Lyon dans son livre sur l’Idéalisme en Angleterre au XVIIIe siècle). L’auteur s’efforce aussi d’expliquer Locke ; il montre, en particulier, comment ses idées sur la tolérance se relient à celles des Platoniciens de Cambridge (filiation d’autant plus curieuse, pourrait-on remarquer, que la théorie de la connaissance de Locke s’oppose à cette de ces Platoniciens). Ces études sur la doctrine de Locke et ses origines rajeunissent ce chapitre, assez peu étudié, de l’histoire de la philosophie anglaise.

Précis raisonné de morale pratique, par questions et réponses, extrait révisé du Bulletin de la Société française de philosophie, par André Lalande, agrégé de philosophie, docteur ès-lettres, 1 vol. in-12, de v-69 p., Paris, Alcan, 1907. — Le Précis de M. Lalande a déjà fait l’objet, à la Société de Philosophie, d’une discussion (v. Bulletin, janvier et février 1907). La plus grande partie des objections, comme le fait remarquer M. Lalande, portaient soit sur les inconvénients de la forme catéchétique, soit sur le rapport de la morale pratique et des théories de la moralité. On se demande, en effet, quelle peut être l’efficacité, sur l’esprit des enfants (car c’est à des lycéens qu’on s’adresse) d’un catéchisme, et si la méthode de l’enseignement par l’exemple, la méthode du Selectæ et du de Viris, n’est pas meilleure et plus agissante : le christianisme a son catéchisme, sans doute, mais il a aussi, et surtout, ses légendes. On se demande aussi sur quelle base théorique s’appuie cet essai de « morale indépendante », ou s’il prétend se passer de toute base théorique. Au fond, et M. Lalande le reconnaît lui-même, cette tentative suppose la croyance à l’identité profonde des doctrines, à l’unité du savoir humain, malgré la diversité des formules, ou, si l’on veut, des langages. Cette pensée de derrière est la meilleure justification de l’entreprise à laquelle s’est voué M. Lalande. Tout en se défendant de vouloir immobiliser à jamais dans les limites de son formulaire les prescriptions de la morale ( « les règles de la conduite ne sont que le signe incomplet et toujours perfectible des sentiments et des tendances qui constituent la moralité » ), M. A. Lalande fait preuve de toute la précision, et nous dirions volontiers de toute la