Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

point par point celle de l’autre. Au rebours, les deux derniers arguments postulent immédiatement l’indivisibilité des éléments du temps et médiatement celle des éléments de l’espace. Ainsi considéré, l’ensemble de ces raisonnements constitue un véritable dilemme. Deux suppositions sont possibles sur la nature de la quantité continue, étendue ou durée : ou cette quantité est, comme nous sommes naturellement portés à l’admettre et comme les mathématiciens le supposent, effectivement divisible à l’infini, ou sa continuité n’est qu’apparente et elle est réellement un agrégat d’éléments indivisibles, un véritable nombre formé d’unités absolues. Or dans l’une et l’autre hypothèse le mouvement est impossible.

Il est vrai qu’entre les deux alternatives on pourrait à la rigueur concevoir un moyen terme. On pourrait accorder l’infinie divisibilité de l’espace et nier celle du temps, ou inversement. Zénon, autant que nous en pouvons décider par les textes qui nous sont parvenus, n’a pas prévu cette échappatoire. Peut-être jugeait-il une pareille attitude trop ouvertement illogique pour qu’on fût tenté de la prendre.

Voici comment Aristote formule la dichotomie : « Il n’y a pas de mouvement, car il faut que le mobile atteigne le milieu de son parcours avant d’atteindre la fin ».

Avant d’atteindre la moitié du parcours, le mobile devra atteindre la moitié de cette moitié, et cela à l’infini, l’espace étant supposé indéfiniment divisible et par suite tout intervalle entre deux points pouvant être partagé en deux moitiés. Tout déplacement a donc pour condition un déplacement antérieur, de telle sorte que, remontant du conditionné à ses conditions, on se trouve engagé dans une régression à l’infini. Dès lors la série des conditions ne saurait jamais être donnée, ni par suite le conditionné. Le mouvement est impossible parce qu’il ne peut commencer ; parce que, quelque déplacement que l’on considère, il en suppose de toute nécessité un précédent et ne saurait être véritablement premier.

Le mouvement ne peut commencer ; cela suffit-il bien à prouver qu’il est impossible. La dichotomie suppose qu’il s’accomplit entre deux points fixes : un point de départ et un point d’arrivée. Le mobile part du repos et revient au repos. C’est là après tout une hypothèse, et l’absurdité de la conclusion prouve peut-être seulement que cette hypothèse est illégitime. Une seule chose a été démontrée, l’impossibilité pour le mobile de passer du repos au mouvement.