Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

replis les plus cachés de l’âme, dans les sensations d’harmonie ? Et êtes-vous encore surpris qu’il se soit écrié : « les choses sont nombres » ?


II


« Nous ne le serions plus, allez-vous me répondre peut-être, si Pythagore n’avait voulu qu’exprimer cette idée : les choses s’expliquent par les nombres. Mais nous ne pouvons pousser le mépris des commentaires d’Aristote et de toute l’antiquité jusqu’à méconnaître qu’ils témoignent au moins d’une certaine réalisation attribuée par Pythagore aux nombres. Et c’est ici que nous ne comprenons plus. »

Faut-il vraiment se perdre dans un abîme de considérations transcendantales pour comprendre que Pythagore, frappé le premier de cette vérité, que les nombres se retrouvent à propos de toutes choses, que toutes choses s’expliquent par eux, l’ait exprimée en disant que les nombres sont dans les choses, que les choses sont nombres ?

Il me suffira peut-être d’énoncer la question sous une autre forme pour que son caractère exceptionnel disparaisse. Est-il surprenant que le premier penseur qui a été instinctivement frappé de l’utilité d’un concept pour la science générale, n’ait pas senti lui-même le caractère purement formel, purement subjectif de ce concept ? Car c’est là, au fond, le cas de Pythagore. Qu’est-ce qui nous choque dans sa formule, qu’est-ce qui nous incite, depuis Aristote, à en chercher le sens exact, comme celui d’une énigme ? C’est que le nombre y semble bien pris dans un sens concret et objectif qui n’est pas le nôtre. Le nombre, aux yeux d’un savant moderne, est un concept, c’est une vue de l’esprit, elle est précieuse pour la formation de la science, soit, mais cela ne justifie nullement à nos yeux la croyance à quelque être réel qui y réponde. Chez Pythagore, l’idée que les nombres servent merveilleusement à expliquer les choses ne se sépare pas de cette autre que les nombres appartiennent aux choses. À ses yeux, la science, puisqu’elle se forme et progresse par la considération du nombre, saisit donc sur le vif, met donc en évidence un caractère des choses qui leur est inhérent, le nombre.

Sans chercher à savoir à quelle catégorie de cause, ou d’essence,