Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/169

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Telle est la méthode qui nous semble la meilleure : faire parler les élèves, les faire trouver, les faire juger : poursuivre comme la classe idéale une classe entièrement faite par eux, sous notre présidence et sous notre inspiration[1]. Voici maintenant pourquoi cette méthode nous semble la meilleure : elle est la plus utile à l’élève d’abord, et, ce qui importe moins, mais ce qui importe encore, la plus utile au professeur.

Elle est de beaucoup la plus utile aux élèves. Aucune n’est plus propre à les rendre attentifs : d’abord parce que leur amour-propre est stimulé : ils désirent répondre, ils se piquent au jeu, ils sont fiers de leurs découvertes, ils prennent conscience de leurs forces ; ils sentent qu’ils collaborent avec le maître ; ils retrouvent leurs idées fixées et consacrées dans le plan définitif : voilà qui éveille, à coup sûr, l’attention. — Et puis la curiosité et la camaraderie s’en mêlent : que va répondre tel ami, tel voisin interpellé ? Ceci fait prêter l’oreille aux plus indolents. — Enfin, chacun parlant à son tour, on évite la monotonie, le ronron qui endort l’attention : les voix changent, le ton change, les tours d’esprit changent. C’est assez pour qu’une classe n’ait aucune envie de s’assoupir ou de rêver.

Mais surtout aucune méthode n’exerce autant les esprits. Par elle les élèves apprennent littéralement à penser. En effet le maître les force à réfléchir devant lui ; il assiste au fonctionnement de leurs esprits et le rectifie ; il s’assure que leur mémoire n’est pas seule en jeu ; il les amène à découvrir eux-mêmes la vérité. Bref, il les fait penser, au lieu de leur fournir le résultat de sa propre pensée. — Cet avantage est tel qu’il efface tous les autres. Combien est inférieure l’efficacité de la plus belle leçon ! Que penserait-on d’un professeur de gymnastique qui se contenterait d’exécuter, devant les élèves immobiles, les exercices les plus brillants ? C’est cependant l’image exacte du professeur de philosophie qui fait son cours.

Ainsi les élèves sont attentifs et ils pensent par eux-mêmes. Par suite ils comprennent mieux, puisqu’ils n’ont à comprendre que leurs propres idées. Et enfin ils retiennent mieux. — Or il est important qu’ils retiennent : il faut que les idées essentielles se gravent dans leur mémoire ; il le faut, pour leurs examens dont nous ne pouvons pas nous désintéresser ; il le faut pour leurs esprits mêmes, que nous ne devons pas seulement assouplir, mais lester. — ils retiennent mieux, précisément parce qu’ils ont été plus attentifs, qu’ils ont trouvé par eux-mêmes, et qu’ils ont mieux compris.

Cette méthode est donc éminemment utile aux élèves. Elle ne l’est pas moins au professeur. — D’abord elle assure entre eux et lui plus de fusion, plus d’harmonie. Le professeur est plus près des élèves : il échange vraiment ses idées contre leurs idées : il y a entre eux et lui commerce et communion. Il est à leur ton et il s’y maintient, ce qui est une des difficultés de l’art d’enseigner. Dès qu’il s’éloigne d’eux, dès qu’il n’est plus à l’unisson, la causerie naturellement l’y ramène ; il sent tout de suite

  1. Lire dans le livre admirable de M. H. Marion, l’Éducation dans l’Université, tout ce qui concerne la vie de la classe, p. 352 et suiv.