Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
NOTES CRITIQUES




LA DISCUSSION EN PHILOSOPHIE




Parlant des oppositions qui naissent de la diversité des opinions, Descartes disait dans le Discours de la Méthode : « Je n’ai jamais remarqué que par le moyen des disputes qui se pratiquent dans les écoles on ait découvert aucune vérité qu’on ignorât auparavant ; car pendant que chacun tâche de vaincre, on s’exerce bien plus à faire valoir la vraisemblance qu’à peser les raisons de part et d’autre ; et ceux qui ont été longtemps bons avocats ne sont pas pour cela par après meilleurs juges ». Il est vrai que la discussion en philosophie souffre bien des difficultés. Elle met aux prises des esprits non seulement différents, mais inégaux, et elle paraît les mesurer trop exactement l’un par l’autre ; aussi, comme Descartes le dit, faisant craindre à chacun une défaite publique, elle excite au plus haut point les sentiments personnels, ce qui n’est pas favorable à la vue de la vérité. Puis elle heurte l’une contre l’autre des opinions qui tiennent, au fond, à l’individualité même de chaque esprit ; il semble qu’elle doive rendre le désaccord d’autant plus éclatant qu’elle est plus soutenue et plus rigoureuse ; et lorsqu’elle prend fin par la lassitude des adversaires ou des auditeurs, elle n’a imposé aucune conclusion. On peut dire enfin que les hommes qui consacrent leur vie à la recherche du vrai ont autre chose à faire que de passer au crible les opinions des autres ; leur tâche est assez grande de débrouiller leurs propres pensées.

Ces objections sont fortes. Elles ne paraissent pas décisives. D’abord est-il donc impossible qu’il se rencontre, au moins parmi les amis de la sagesse, des esprits sincères qui se connaissent avec leurs faiblesses et qui, ne voulant en imposer à personne, préfèrent la vérité à eux-mêmes, et l’opinion d’autrui, quand enfin elle leur paraît juste, à celle qu’ils avaient d’abord embrassée ? En second lieu, pourquoi les vérités philosophiques ne seraient-elles pas susceptibles d’atteindre peu à peu à une évidence universelle ? Sans doute on a soutenu dans ces derniers temps — et c’est l’idée que M. Renouvier a exposée souvent et a développée notamment avec un puis-